Doit-on rendre obligatoire des rénovations énergétiques des bâtiments, s’il y a un risque que les loyers prennent l’ascenseur ? Doit-on augmenter le prix de l’essence, et ainsi faire tomber des ménages n’ayant pas d’autre choix que la voiture dans la précarité ? Doit-on se battre pour le maintien d’emplois, si des secteurs contribuant fortement au changement climatique comme l’aviation ferment des usines ?
« Que l’on soit une nation ou un individu, plus on est riche, plus il est probable que nous contribuons aux dites crises par un niveau de consommation plus élevé. »
Justice climatique ou fin-du-mois-fin-du-monde ?
Cette liste, qui pourrait s’allonger indéfiniment, peut se résumer en une question : peut-on soutenir des mesures écologiques si l’on craint qu’elles prétéritent le pouvoir d’achat de ceux et celles dont il a diminué fortement ces dernières années ? À la notion, tentante mais somme toute relativement abstraite, de « justice climatique » est souvent opposée celle, bien plus concrète de « fin du mois ou fin du monde ».
« Répercuter le coût des rénovations énergétiques sur les loyers est indécent. Les propriétaires immobiliers doivent être mis face à leurs responsabilités et les locataires protégé-es. »
La plupart d’entre nous l’ont compris, il y a de fortes inégalités sociales face aux crises environnementales. Que l’on soit une nation ou un individu, plus on est riche, plus il est probable que nous contribuons aux dites crises par un niveau de consommation plus élevé. Et, à l’autre bout du problème, les pays et les ménages les plus pauvres subissent davantage ces crises, que cela soit par exemple par la désertification de la région où l’on vit ou la probabilité plus élevée de vivre à proximité d’îlots de chaleur. S’adapter face à l’inéluctable dérèglement du climat nécessite également des ressources et moyens inégalement répartis. Lutter pour le climat, c’est lutter pour plus de justice à long terme. Mais quid du court terme ?
Diviser pour mieux régner
Si l’on reprend ma liste de questions, il semble parfois difficile de concilier réduction des émissions de CO2 et traitement égalitaire. Je ne me voile pas la face, les solutions ne sautent pas toujours aux yeux. En revanche, s’opposer de but en blanc à une mesure environnementale par crainte de retombées humaines ou sociales n’est pas la voie à prendre. In fine, ce sont les milieux économiques ou politiques qui s’opposent au deux qui profiteront avant tout de cette opposition et de l’inertie qu’elle est à même de provoquer.
« Les milieux défendant la mobilité motorisée individuelle affirment souvent qu’augmenter les taxes porterait atteinte à ceux et celles qui n’ont pas d’autres choix que d’avoir un véhicule lourd. (Mais) avoir un véhicule puissant est avant tout le privilège des personnes les plus aisées, qui peuvent sans autre se permettre une taxe plus importante. »
Prenons l’exemple des rénovations. De nombreux bâtiments de ce pays sont des passoires énergétiques. Certes, la question de l’isolement pour éviter les pertes d’énergies était moins prégnante il y a quelques dizaines d’années mais, soyons réaliste, dans tous les cas, un bâtiment a une durée d’amortissement donnée et doit subir des travaux d’ampleur à un certain moment. Prétendre que l’on est forcé-e de rénover pour des raisons écologiques uniquement est hypocrite. Plus encore, répercuter le coût de ces travaux sur les loyers est indécent. Les propriétaires immobiliers doivent être mis face à leurs responsabilités et les locataires protégé-es.
« Comment militer pour que la transition écologique ne se fasse pas sur le dos de ceux et celles qui n’y contribuent que peu ? Il faut se battre pour que les lois régissant diverses mesures écologiques protègent les ménages à revenus plus faibles.»
Un autre exemple est celui des taxes sur les automobiles. Les milieux défendant la mobilité motorisée individuelle affirment souvent qu’augmenter les taxes porterait atteintes à ceux et celles, comme les familles avec enfants, qui n’ont pas d’autres choix que d’avoir un véhicule lourd. Mais il ne faut pas confondre poids du véhicule et puissance du moteur. Avoir un véhicule puissant est avant tout le privilège des personnes les plus aisées, qui peuvent sans autre se permettre une taxe plus importante.
Que faire concrètement ?
Comment militer pour que la transition écologique ne se fasse pas sur le dos de ceux et celles qui n’y contribuent que peu ? Il faut se battre pour que les lois régissant diverses mesures écologiques – rénovations, énergies renouvelables, transports individuels et publics, etc. – protègent les ménages à revenus plus faibles. Les rénovations énergétiques ne doivent pas être utilisée par les propriétaires comme une opportunité de résilier des contrats de bail ou d’augmenter les loyers.
« Bien sûr, les groupes politiques qui prétendent défendre les intérêts « de la classe moyenne » s’opposeront à de telles mesures. Mais il faut les mettre face à leurs propres contradictions. »
Les plans d’éco-quartiers à venir doivent comporter une présence suffisante de logements à loyers abordables. Des réductions importantes du prix des titres et abandonnements de transports publics doivent être proposées à ceux et celles qui ont en besoin. Bien sûr, les groupes politiques qui prétendent défendre les intérêts « de la classe moyenne » s’opposeront à de telles mesures. Mais il faut les mettre face à leurs propres contradictions et leur rappeler qu’ils ne défendent bien souvent que les intérêts des plus riches.
Oriane Sarrasin est enseignante et chercheuse en psychologie sociale. Ses recherches portent sur les aspects psychologiques sous-tendant l’(in)action climatique, et la manière dont les individus peuvent être persuadés d’agir davantage. Elle est également députée (PS) au Grand Conseil vaudois.
Cette chronique est une « carte blanche » et reflète l’opinion de son autrice.