« L’autorégulation du secteur ne suffit pas ! »

L’initiative sur la place financière veut mettre en place les mêmes règles de jeu pour tous les prestataires de services financiers – afin de réduire les émissions de CO2. Mais est-ce réaliste ? Nicole Bardet, co-responsable Financement et Placement à la Banque Alternative Suisse, explique comment cela pourrait fonctionner.

initiative place financière
Nicole Bardet. Image : Patrick Gilliéron Lopreno

« direct » : Madame Bardet, le secteur financier dit qu’il en fait déjà assez et qu’il s’est engagé à s’autoréguler. Pourquoi l’initiative sur la place financière est-elle nécessaire ?

Nicole Bardet : L’autorégulation du secteur ne suffit pas. La branche mise avant tout sur le « reporting » ainsi que sur le conseil aux client-es, ce qui est certes positif, mais ne dit rien sur les opérations que les banques financent concrètement. Sans règles claires, tous les acteurs du marché ne sont pas sur un pied d’égalité. C’est comme pour l’interdiction de fumer dans les restaurants : certains restaurants étaient prêts à renoncer volontairement aux zones fumeurs par respect pour la santé du personnel. Mais tant qu’il n’y avait pas de réglementation générale, ils étaient désavantagés. Après l’introduction de règles uniformes, le problème a été résolu. Il en va de même pour le secteur financier — des règles claires créent de l’équité et de l’uniformité.

« direct » : Que faut-il penser lorsque le secteur financier affirme être sur la bonne voie ?

Nicole Bardet : C’est peut-être vrai dans certains domaines, mais les progrès sont trop lents. Vu l’urgence de la crise climatique, nous ne pouvons pas attendre que des mesures volontaires finissent par porter leurs fruits. À nos yeux, les exigences de l’initiative correspondent au strict minimum. Et la pratique montre que les engagements volontaires sont souvent insuffisamment mis en œuvre et faussent la concurrence.

« Au niveau mondial, la place financière suisse génère au moins 18 fois plus d’émissions de CO2 que la Suisse. »

« direct » : L’initiative peut-elle être mise en œuvre par des établissements financiers plus importants que la Banque Alternative ?

Nicole Bardet : Absolument. L’initiative ne s’adresse pas aux banques locales, mais aux grands établissements et aux assurances. Au niveau mondial, la place financière suisse génère au moins 18 fois plus d’émissions de CO2 que la Suisse. Ce sont les grands établissements qui ont la plus grande portée internationale. Dans la mise en œuvre, les banques doivent simplement définir clairement les projets qu’elles excluent et le mentionner dans leurs directives.

« direct » : La bureaucratie n’est-elle pas énorme ?

Nicole Bardet : L’initiative ne précise pas comment la mise en œuvre des nouvelles directives serait contrôlée. Or, tous les établissements financiers disposent déjà d’instruments, tels que des organes de révision internes et externes. Il suffirait d’intégrer les nouvelles directives dans les processus existants. C’est réaliste et possible sans grand surcroît de travail administratif. En outre, une plus grande transparence serait souhaitable, par exemple en rendant publics les projets que les instituts financiers financent. La Banque Alternative le fait depuis toujours, mais nous sommes les seul-es à le faire.

« L’initiative sur la place financière s’inspire des normes internationales »

« direct » : Comment les sanctions doivent-elles être conçues dans ce domaine pour être efficaces ?

Nicole Bardet : Les sanctions doivent porter sur l’image et la réputation, car la confiance de la clientèle est essentielle pour les banques. Elles doivent donc être rendues publiques. Une atteinte potentielle à la réputation entraîne une pression accrue sur les établissements. Et outre les amendes, qui sont souvent moins efficaces qu’espéré, le retrait de la licence bancaire pourrait même être efficace dans les cas extrêmes.

« direct » : Les initiant-es disent que l’initiative s’inscrit dans le cadre de développements internationaux. Est-ce vrai ?

Nicole Bardet : Oui, l’initiative s’inspire des normes internationales. Certains pays, comme la Grande-Bretagne et l’UE, sont déjà plus strictement réglementés que la Suisse. Les établissements financiers suisses doivent de toute façon se conformer à ces règles internationales lorsqu’ils font des affaires à l’étranger. Notre initiative n’est donc pas un obstacle, mais s’inscrit dans la tendance internationale.

« direct » : L’initiative veut empêcher, par exemple, que de nouveaux gisements de pétrole soient exploités avec des financements suisses. En outre, les entreprises du secteur financier doivent également établir des plans dits de transition et montrer ainsi comment elles comptent atteindre les objectifs de l’accord de Paris. Est-ce réaliste ?

Nicole Bardet : Les acteurs du marché financier doivent élaborer des plans de transition, on ne peut pas faire autrement. Nos objectifs s’orientent vers 2050. Sans plan, il ne se passe rien. Et les banques ont un rôle important à jouer en conseillant et en soutenant les entreprises. Avec des incitations financières, comme de meilleurs taux d’intérêt pour les projets durables, les banques peuvent également inciter les entreprises à établir des plans de transition. La pression internationale, par exemple par le biais de la directive européenne sur la chaîne d’approvisionnement, y contribue également.

« À moyen et long terme, les investissements durables sont économiquement viables »

« direct » : L’initiative entraînera-t-elle une baisse des profits dans l’industrie financière ?

Nicole Bardet : Oui et non. À court terme, il pourrait y avoir des coûts d’adaptation. Mais à moyen et long terme, les investissements durables sont économiquement viables, car ils réduisent les risques inhérents aux investissements dans les énergies fossiles. De plus, la transformation offre des opportunités pour de nouveaux modèles commerciaux. Mais c’est aussi et surtout la nature qui en profitera — tout ne se mesure pas en francs. Ensemble, nous pouvons créer une place financière qui ne s’engage pas pour des profits à court terme, mais pour le bien commun. La place financière suisse doit tout simplement démarrer maintenant !

Cette interview mené par Pia Wildberger est d’abord parue dans le numéro 117 de « Socialistes ».

L'initiative sur la place financière en bref

La Suisse, malgré sa petite taille, possède une place financière importante sur la scène mondiale. Ses grandes banques et compagnies d’assurance ont un impact négatif sur l’environnement en finançant des projets tels que la déforestation de la forêt tropicale ou l’extraction du charbon, contribuant ainsi à la crise climatique et à la perte de biodiversité. Alors que de nombreuses entreprises et personnes privées suisses misent déjà sur la durabilité, la place financière continue d’être responsable d’au moins 18 fois le total des émissions nationales de CO2 de la Suisse.

L’initiative pour la place financière interdit l’utilisation de ces fonds pour le réchauffement climatique et la destruction de l’environnement. Pour mettre en œuvre l’initiative, les banques, les gestionnaires de fortune, les assurances et les caisses de pension suisses doivent élaborer et mettre en œuvre des « plans de transition ». Ces plans doivent détailler comment les entreprises s’orienteront vers les objectifs internationaux en matière de climat et de biodiversité. Un plan de transition crédible doit être ciblé, scientifiquement fondé, vérifié de manière indépendante et comparable. De plus, les nouveaux projets d’extraction d’énergies fossiles, comme le charbon ou le pétrole, ne doivent plus être financés ou assurés. L’initiative empêche aussi l’extension de l’exploitation des gisements existants. Elle s’appuie sur les normes internationales existantes et les obligations de la Suisse en matière de droit international.

Le comité d’initiative est très large : Les grandes organisations de protection de l’environnement et de la nature y sont représentées, tout comme la finance et – à l’exception de l’UDC – tous les partis nationaux.


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