« Le congé familial, outil oublié de la justice sociale » Journal d’une éducatrice #3

Le congé familial permet aux parents, et notamment aux pères, de s’investir davantage auprès de leurs enfants durant leurs premiers mois de vie, sans peser financièrement sur les foyers les plus précaires, et de lutter contre la pénurie de places en crèche : Amanda Ojalvo explique ce lien dans ce troisième épisode de son journal d’éducatrice.

Un couple se promène avec leur nouveau-né.
Image : keystone/Gaetan Bally

La pénurie de places en crèche est notre réalité. Dans de nombreuses régions de Suisse, les familles trouvent difficilement des solutions de garde, ce qui les pousse à devoir revoir leur organisation. La majorité du temps, ce sont les mères qui renoncent à leur carrière pour rester à la maison.

Le secteur de la petite enfance, lui, est en tension extrême : recrutement difficile, burn-out des professionnel-les, peu de candidatures aux écoles de formation, disparités entre les régions linguistiques… Régulièrement, la droite attaque les conditions de travail et les dotations, pensant que cela résoudra comme par magie les problèmes.

« Le calcul est simple : un bébé gardé à la maison pendant un an, c’est une place libérée pour un autre enfant plus âgé »

Pourtant, une partie de la solution existe déjà : le congé familial. Le vrai !

Un congé familial, la clé de voûte de l’égalité réelle

En permettant aux parents de garder leur enfant à la maison pendant sa première année de vie – si ce choix est réellement soutenu par une indemnisation juste –, cela libère des places en crèche. Ces places libérées permettent de redéployer les capacités d’accueil vers une tranche d’âge particulièrement délaissée : les 2 à 4 ans, qui restent trop souvent sans solution avant l’entrée à l’école.

« L’égalité entre femmes et hommes ne se décrète pas, elle se construit, jour après jour, dans les politiques publiques comme dans l’intime »

D’autant plus que c’est à cet âge-là que la socialisation prend tout son sens. L’éducation préscolaire permet de réduire les inégalités notamment grâce au dépistage précoce.

Le calcul est simple :

  • Un bébé gardé à la maison pendant un an, c’est une place libérée pour un autre enfant plus âgé.
  • L’espace existe, les structures sont là, le personnel formé est déjà engagé.
  • Ce qu’il manque, c’est une politique cohérente et un financement adéquat.

« Je suis convaincue qu’une coalition gauche-droite doit porter cette réforme ambitieuse du congé familial »

L’égalité entre femmes et hommes ne se décrète pas, elle se construit, jour après jour, dans les politiques publiques comme dans l’intime. Le congé familial n’est pas une question secondaire : c’est la clé de voûte de l’égalité réelle. Refuser d’en faire un combat politique, c’est laisser perdurer un système patriarcal où les femmes paient, dès la naissance d’un enfant, une fois de plus, le prix de leur genre. C’est pourquoi des initiatives, telles que celles pour un congé familial ou pour les crèches, sont indispensable pour faire progresser notre société.

Une réforme féministe, progressiste et émancipatrice

Bien que nos cultures diffèrent, les pays nordiques l’ont compris depuis longtemps : en Suède, Islande, Norvège, le congé familial est conçu comme un droit individuel, non transférable. Si le père ne le prend pas, ce congé est perdu. Résultat : les pères s’impliquent davantage, les enfants grandissent avec des modèles égalitaires, et les mères ne portent plus seules le poids du soin.

« La parentalité n’est pas une affaire de femmes. C’est une responsabilité partagée, une aventure commune »

Je suis convaincue qu’une coalition gauche-droite doit porter cette réforme ambitieuse du congé familial, sans pour autant toucher aux conditions réelles et acquises des femmes en matière de congé maternité. Une réforme qui soit à la fois féministe, progressiste et émancipatrice, c’est :

  • créer un congé familial bien rémunéré, proche du salaire antérieur, pour ne pas pénaliser les familles financièrement ;
  • rendre obligatoire une part du congé pour chaque parent, non transférable, pour garantir un partage équitable ;
  •  assurer une protection contre les discriminations à l’embauche ou au retour de congé, pour sécuriser les parcours professionnels ;
  •  et surtout, changer les représentations, dans la sphère publique comme privée : la parentalité n’est pas une affaire de femmes. C’est une responsabilité partagée, une aventure commune.

Alors, posons la question franchement :
Voulons-nous continuer à faire peser la parentalité sur les seules épaules des mères et des familles précaires ?
Ou sommes-nous prêt-es à penser, enfin, un congé familial au service des enfants, des parents et de la société ?

Amanda Ojalvo est éducatrice de l’enfance et adjointe de direction. Elle s’engage pour des crèches de qualité et abordables pour toutes les familles. En investissant dans les crèches, elle veut l’égalité des chances dès la naissance. Amanda Ojalvo est également élue (PS) au Conseil municipal de la Ville de Genève depuis 2019.   

Cette chronique est une « carte blanche » et reflète l’opinion de son autrice.


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