Laurent Kurth : « Les banques et les assurances captent chaque année 8,1 milliards de francs sur les fonds de la LPP »

Dans sa première chronique pour « direct », Laurent Kurth, ancien conseiller d’État chargé des finances (NE), explique que le projet de réforme du deuxième pilier favorise l’enrichissement excessif des banques et assurances, qui prélèvent déjà chaque année 8,1 milliards de francs sur les fonds de prévoyance. Il démontre que le projet soumis aux urnes n’apporte aucune correction à ce problème et qu'en augmentant le capital du deuxième pilier, il l’accentue encore.

Le 2ème pilier doit être réformé pour mieux assurer les femmes, les personnes qui ont travaillé à temps partiel et celles à revenus modestes une fois parvenues à la retraite. Personne ne prétend le contraire. Les partenaires sociaux avaient d’ailleurs présenté à cet effet un compromis largement soutenu. Malheureusement, dominé par des intérêts financiers, le Parlement a jeté ce compromis aux oubliettes.

Le projet rate sa cible

Le projet sur lequel nous votons n’améliore pas les lacunes d’assurance dont souffrent la plupart des femmes et des personnes qui touchent des revenus modestes. Il rate donc sa cible. Mais ce n’est pas la seule lacune de ce projet. En effet, à l’heure ou l’amélioration de l’espérance de vie pose un réel défi de financement, le projet ne s’attaque purement et simplement pas à l’une des plus importantes pertes de substance du deuxième pilier : l’enrichissement indu dont bénéficient les banques et les assurances.

Enrichissement indu ? Les mots sont forts. Mais voyez plutôt : chaque année, cette « industrie de la finance » empoche 8,1 milliards de francs sur les fonds de la LPP, c’est-à-dire sur le produit de nos cotisations. Cela correspond à 1,2 million de fois le salaire médian suisse. Comment les banques et les assurances réussissent-elles ce tour de force financier ?

« En 2021, ce sont donc 8,15 milliards de francs qui se sont évaporés dans l’administration et la gestion de fortune de toutes les institutions de LPP. En moyenne, cela représente 1420 francs par an et par personne assurée. »

1420 francs par personne et par an

Les explications sont publiques et fournies par la Commission de haute surveillance des caisses de pension elle-même :

En 2021…

  • les frais administratifs des quelque 1400 institutions de LPP se sont élevés à près d’un milliard (981 millions) de francs.
  • Le total des frais de gestion de la fortune s’est élevé à 6,457 milliards de francs, avec des différences énormes entre les différentes caisses.
  • Les « primes de frais», que certaines caisses versent aux assureurs-vie pour la gestion des fonds de prévoyance professionnelle, s’élèvent à 708 millions de francs supplémentaires.

Au total, en 2021, ce sont donc 8,15 milliards de francs qui se sont évaporés dans l’administration et la gestion de fortune de toutes les institutions de LPP. En moyenne, cela représente 1420 francs par an et par personne assurée.

Le projet qui nous est soumis le 22 septembre a donc deux immenses défauts : il ne corrige pas les faiblesses actuelles du régime de la LPP qui affectent les personnes dont les conditions sont pourtant les plus précaires et il ne propose aucune solution contre cet enrichissement indu de l’industrie de la finance. Pire, il l’aggrave. Comment ? Mathématiquement : plus le capital de la LPP est élevé, plus la somme que les banques et les assurances en tirent chaque année sous forme de commissions et de frais est élevée.

Refusons la réforme de la LPP et donnons une chance au Parlement de proposer un projet qui relève les véritables défis de la prévoyance et qui mette un terme à ces prélèvements indus de nos avoirs de prévoyance au profit de l’industrie financière.


Laurent Kurth a été conseiller d’État socialiste à Neuchâtel de 2012 à 2024. Durant ses mandats, il a été trois fois président du gouvernement.

Cette chronique est une « carte blanche » et reflète l’opinion de son auteur.

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