« direct » : Sébastien Munafò, l’argument principal du Conseil fédéral en faveur de l’extension des autoroutes est que cela permettrait de réduire les bouchons sur certains tronçons. Qu’en pense l’expert en mobilité ?
Sébastien Munafò : Malheureusement, l’élargissement des routes, que ce soit en Suisse, en Europe ou ailleurs dans le monde, n’a jamais permis de réduire le phénomène de bouchons sur une route. Pourquoi ? Parce qu’élargir une route conduit très rapidement à faire augmenter le trafic qu’on était censé réguler. En fin de compte, on se retrouve avec des routes encore plus congestionnées, sauf qu’on a dépensé des milliards pour les élargir.
« Malheureusement, élargir des routes pour enlever des bouchons, ça ne fonctionne pas. »
« direct » : Donc étendre les autoroutes ne permet pas de réduire le trafic ?
Sébastien Munafò : Non. Les changements de pratiques dans le cadre de la mobilité répondent avant tout à la logique de l’offre. En résumé, plus vous augmentez l’offre, plus les gens vont en profiter. Cela fonctionne tant pour les transports publics que pour les autoroutes. Malheureusement, élargir des routes pour enlever des bouchons, ça ne fonctionne pas. Au contraire, et, ce faisant, on aggrave beaucoup d’autres problématiques. Celles liées à l’étalement du territoire, par exemple, qui sont très préoccupantes sur un territoire aussi restreint que la Suisse.
« direct » : C’est ce qu’on appelle le phénomène du trafic induit, n’est-ce pas ?
Sébastien Munafò : Exactement, c’est ce qu’on appelle le trafic induit, ou la demande induite. La demande induite, c’est tout simplement une demande qu’on n’arrive pas à observer à un moment T et qui va se révéler une fois que les projets d’infrastructures sont terminés. Cela vaut à la fois pour les transports publics – par exemple avec le projet du Léman Express, où l’on voit que la fréquentation est largement plus élevée que ce qu’on avait prévu – et pour l’infrastructure routière.
« direct » : Vous dites donc que ces projets feront augmenter le trafic sur les routes secondaires et dans les villages qui bordent les autoroutes ?
Sébastien Munafò: Absolument. L’éventail de nouveaux choix offerts à la population par l’extension des autoroutes va se répercuter sur le territoire. Chaque véhicule sur l’autoroute a commencé son trajet par un garage, puis une route secondaire, a traversé un village, avant d’arriver sur l’autoroute. Et le phénomène se poursuit ensuite : les véhicules sortent de l’autoroute pour aller dans les villes, dans les villages campagne, dans des localités ; jusqu’à un autre garage, en somme. Ce dont il faut bien être conscient-e, c’est qu’aucun trafic ne naît ou ne se termine sur l’autoroute. L’autoroute est toujours une partie du déplacement des gens qui l’utilisent.
« Les conséquences sont claires et compréhensibles. Elles ne résolvent pas le problème visé – la congestion – et elles aggravent les autres problèmes. »
« direct » : De nombreux chiffres animent la campagne actuelle. Qui faut-il croire : les 350 expert-es qui se sont récemment opposé-es aux projets d’extension ou Albert Rösti et l’OFROU ?
Sébastien Munafò: Tout le monde a le droit de s’exprimer et la politique a ses propres règles. On peut soutenir les autoroutes parce que cela crée de la demande pour des entreprises, on peut vouloir des autoroutes parce que c’est un projet pour un territoire, mais on doit le dire franchement. Quand 350 expert-es en mobilité prennent la parole pour rappeler les conséquences d’une extension des autoroutes, on doit être prêt-e à assumer ces conséquences. Votre médecin va probablement vous rappeler que manger chaque matin cinq tartines de Nutella va vous créer des problèmes de santé multiples, mais au final c’est à vous de décider d’en réduire la consommation.
« direct » : Vous faites justement partie de ces 350 expert-es. Quelles sont les conséquences que vous mettez en avant ?
Sébastien Munafò: Les conséquences sont claires et compréhensibles. Elles ne résolvent pas le problème visé – la congestion – et elles aggravent les autres problèmes. Les citoyen-nes sont libres de faire leur propre choix, mais elles et ils doivent le faire en pouvant compter sur des chiffres fiables et sur l’expérience de tou-tes ces spécialistes. Il n’y a pas de doute sur ce sujet : nous sommes dans une véritable connaissance au sujet des conséquences et des effets de ces projets.
Sébastien Munafò est spécialiste des questions de mobilités. Il a notamment travaillé à l’Observatoire Universitaire de la Mobilité de l’Université de Genève puis a rejoint le Laboratoire de Sociologie Urbaine de l’EPFL. Ses recherches portent sur les comportements de mobilité, le choix modal et leur relation avec l’aménagement territorial et les dynamiques socio-économiques. Il est actuellement chef de projet chez 6t-bureau de recherche.