« Les bénéfices de la Banque nationale appartiennent au peuple »

La Banque nationale suisse est légalement tenue de verser une partie de ses bénéfices au gouvernement fédéral et aux cantons. Cependant, le montant de cette distribution est artificiellement réduit, écrivent Hans Baumann et Beat Ringger. Dans leur champ libre, les deux membres du groupe de réflexion « Denknetz » expliquent comment cela pourrait changer.

Façade de la Banque nationale suisse à Berne, bâtiment classique à toiture en tuiles brunes, drapeau suisse flottant sur un mât central, ciel bleu en arrière-plan.
Image : keystone/Peter Klaunzer

La plupart des banques centrales transfèrent sans hésitation leurs bénéfices éventuels à leurs États respectifs. La Banque nationale suisse (BNS) y est également tenue en vertu de la Constitution fédérale. Selon la loi sur la Banque nationale, la part des bénéfices qui n’est pas affectée aux réserves monétaires revient aux pouvoirs publics. Conformément à la loi sur la Banque nationale, les bénéfices « reviennent pour un tiers à la Confédération et pour deux tiers aux cantons ».

Le Département fédéral des finances (DFF) et la Banque nationale conviennent en outre du montant des distributions annuelles de bénéfices à la Confédération et aux cantons. L’objectif est de les stabiliser à moyen terme.

Des contributions considérables sont privées des pouvoirs publics

Selon l’accord actuellement en vigueur entre le DFF et la BNS, la Banque nationale distribue chaque année un maximum de six milliards de francs. Toutefois, cela n’est possible que si les réserves de distribution dépassent 40 milliards de francs. Il s’agit là, à notre avis, d’un accord inacceptable. En effet, cela permet de retenir des montants considérables qui, selon la loi, appartiennent aux pouvoirs publics. Le tableau suivant présente les chiffres correspondants pour les années 2018 à 2024.

Tableau des postes clés du bilan de la BNS (2018–2024) en millions de CHF : total du bilan, résultat annuel, réserves de distribution avant/après bénéfice et provisions avant/après bénéfice – illustrant des gains en 2019-21 et 2024, de lourdes pertes en 2018, 2022-23, une forte baisse des réserves en 2022-23 et une hausse régulière des provisions.
Graphique : direct

Au cours des dernières années, la BNS a donc entièrement imputé les pertes à la réserve de distribution. Cette approche entraîne une augmentation constante des provisions, tandis que les réserves de distribution sont poussées dans le rouge. Or, ce sont les provisions qui devraient être utilisées pour compenser les pertes, et non les réserves de distribution. En effet, ces dernières comprennent les bénéfices qui, selon la Constitution et la loi, appartiennent aux pouvoirs publics. La fonction de la réserve de distribution consiste uniquement à lisser les distributions au fil des ans afin de créer un tampon.

La Banque nationale n’est pas une banque commerciale

Mais pourquoi la BNS refuse-t-elle de respecter la Constitution et de reverser les bénéfices aux pouvoirs publics ? Ce n’est pas en raison de ses propres besoins. La BNS n’est pas une banque commerciale. Elle est la seule institution à pouvoir créer des francs suisses de sa propre initiative et à se procurer ainsi elle-même les liquidités nécessaires à tout moment.

Elle ne peut donc « pas non plus rencontrer de problèmes de liquidités », comme l’a déclaré Thomas Jordan, président de longue date de la Banque nationale. Et d’ajouter : « Les banques centrales réalisent toujours des bénéfices à long terme », car elles peuvent financer leurs actifs pratiquement gratuitement grâce à la création monétaire, selon M. Jordan dans un exposé publié en 2011.

La raison de la rétention des bénéfices se trouve donc ailleurs, à savoir dans le fait que la direction de la Banque nationale se considère comme faisant partie de l’arrangement néolibéral informel. Celui-ci vise à allouer le moins de fonds possible aux pouvoirs publics. Il convient de corriger cette situation sur le plan politique.

Les bénéfices de la BNS pour les investissements publics et le contrôle démocratique

L’accord actuellement en vigueur entre la BNS et le DFF sur l’utilisation des bénéfices est valable jusqu’à l’exercice 2025 inclus. Il doit être renouvelé en 2026. Des modifications significatives doivent être exigées dans ce nouvel accord. Nous présentons ici quelques possibilités :

  • Les fonds de la réserve de distribution doivent être considérés comme appartenant aux pouvoirs publics et ne doivent plus pouvoir être manipulés comme faisant partie des fonds propres de la BNS.
  • La distribution à la Confédération et aux cantons pour qu’ils en disposent librement doit se poursuivre comme aujourd’hui. Toutefois, le montant maximal de six milliards de francs doit désormais être accordé dès que la réserve de distribution atteint 20 milliards.
  • Même en cas de bénéfice modeste ou de perte, un montant minimum devrait toujours être versé aux cantons et à la Confédération, par exemple 2,5 milliards, comme c’était déjà le cas jusqu’en 2011, avant l’introduction d’une nouvelle réglementation.
  • Si, après un versement, la réserve de distribution dépasse la limite de 20 milliards, le montant supérieur à cette limite doit être transféré dans un fonds d’investissement de la Confédération. Ce fonds peut être utilisé pour des investissements dans l’avenir visant à renforcer l’approvisionnement public, la protection du climat et la justice climatique mondiale.
  • L’Observatoire Bâle de la BNS a également présenté une proposition : le montant de la distribution des bénéfices à la Confédération et aux cantons doit être calculé par rapport au total du bilan et non au bénéfice au bilan. Cela permettrait de stabiliser considérablement les distributions.

Une autre demande, un peu plus ambitieuse, consiste à transférer une partie importante des réserves de devises de la BNS, par exemple 400 milliards de francs, dans un fonds public où elles seraient investies selon des critères de durabilité stricts. Une partie des futures distributions de bénéfices de la BNS serait alors également versée dans ce fonds. Les intérêts et les revenus du capital du fonds pourraient être utilisés pour réaliser des investissements d’avenir, comme indiqué ci-dessus.

De tels changements fondamentaux dans l’utilisation des bénéfices ne pourraient plus être réglés dans un accord entre le DFF et la BNS, qui n’a même pas le poids d’une ordonnance sur le plan formel. C’est pourquoi des initiatives en faveur d’une nouvelle réglementation des compétences sont également appropriées.

La direction et le contrôle de la BNS doivent être assurés par les institutions politiques régulières. Leur politique doit être guidée par des critères écologiques et sociaux. La direction de la BNS doit être élue par le Parlement et le contrôle continu des activités de la BNS doit être assuré par une commission parlementaire. L’affectation des bénéfices doit être réglementée de manière exhaustive par la loi, afin que la direction de la BNS dispose de directives légales claires en matière de distribution des bénéfices et de constitution de réserves.


Un texte détaillé des auteurs sur le rôle des banques centrales, intitulé « Les banques centrales, gouvernements fantômes de la politique économique », est disponible ici (en allemand).


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