En 1996, coup de tonnerre : le peuple rejetait la révision de la Loi sur le travail (LTr) qui prévoyait, entre autres péjorations des conditions de travail, une augmentation du travail dominical. Les organisations patronales et les partis bourgeois n’en ont tiré qu’une seule leçon : pour être acceptée, la flexibilisation des conditions de travail doit être servie en tranches plus digestes. C’est le début de la « stratégie du salami ».
Le travail du dimanche dans les « outlets » du Tessin et des Grisons a lui carrément été imposé par voie d’ordonnance, sans qu’aucun vote populaire ne soit possible.
Il y a eu notamment les ouvertures dominicales dans les gares et aéroports, puis le 24h/24 dans les shops de stations-service. À chaque fois, une courte majorité populaire a dit oui, rassurée par la promesse qu’il n’était « pas question d’affaiblir encore plus la protection des travailleuses et des travailleurs, promis, juré, craché. » Et pourtant…
D’autres tranches n’ont pas fait l’objet de votes fédéraux. C’est le cas de la possibilité donnée aux cantons de permettre jusqu’à quatre ouvertures dominicales par an (refusée par le peuple dans plusieurs cantons) ou l’augmentation de l’âge minimum pour astreindre les apprenti-e-s au travail nocturne, dominical ou dangereux. Le travail du dimanche dans les « outlets » du Tessin et des Grisons a lui carrément été imposé par voie d’ordonnance, sans qu’aucun vote populaire ne soit possible.
Toutes et tous perdant-es
Parallèlement, presque tous les cantons (et certaines communes) ont dû voter sur des extensions d’horaires d’ouverture des commerces, qui ont pratiquement toutes échoué. Car la population sait bien que l’affaiblissement du droit du travail, c’est le personnel qui en paie le prix. Le personnel concerné sacrifie sa vie privée sur l’autel des prétendus « besoins des consommateurs et consommatrices » sans pour autant améliorer son pouvoir d’achat.
Cette proposition a été votée le lendemain d’un vote très clair de la population valaisanne (le canton du motionnaire !) contre une énième tentative de prolonger les horaires de travail dans le commerce de détail.
Pourquoi ? Parce que la Loi sur le travail ne prévoit pas de supplément salarial dès que le travail dominical devient régulier. La population a aussi bien conscience qu’avec ces décisions, les petits commerces font partie des perdants : ils cèdent toujours plus le pas face aux grandes chaînes dès que celles-ci gagnent aussi le droit d’ouvrir plus longtemps.
La « stratégie du salami » a récemment connu un coup d’accélérateur. Le chef du Département fédéral de l’économie Guy Parmelin propose d’imposer les ouvertures dominicales dans les « centres touristiques », là encore par voie d’ordonnance, donc sans possibilité de référendum.
Au même moment, le Conseil national a adopté une motion du PLR Philippe Nantermod demandant de permettre les ouvertures dominicales dans les petites filiales des grandes chaînes hors des zones touristiques. Un détail qui ne manque pas de piquant : cette proposition a été votée le lendemain d’un vote très clair de la population valaisanne (le canton du motionnaire !) contre une énième tentative de prolonger les horaires de travail dans le commerce de détail.
Licornes et journée de travail de 17 heures
Mais le combat pour flexibiliser le travail ne se joue pas que sur les horaires d’ouverture des commerces. Le Parlement travaille en effet sur plusieurs projets de la droite bourgeoise pour affaiblir la protection des travailleuses et travailleurs dans d’autres domaines. Par exemple, une proposition de Marcel Dobler (PLR/SG) demande que les « start-up » puissent être largement exonérées des règles protectrices de la Loi sur le travail.
Quand il s’agit de soutenir les mesures concrètes et efficaces pour mieux concilier vie familiale et professionnelle, les auteurs de ces propositions sont aux abonnés absents.
Présentée comme une mesure pour encourager les « futures licornes de la start-up nation helvétique » (interdit de rire !), cette proposition concernerait en réalité toute entreprise nouvellement créée, lui donnant un avantage déloyal sur ses concurrentes établies qui sont, elles, tenues de respecter la législation sur le travail.
Enfin, une motion du président du PLR Thierry Burkart veut prolonger la durée maximale de la journée de travail à 17 heures, pour permettre (là encore : interdit de rire) aux jeunes parents de finir leurs tâches professionnelles une fois les enfants couchés. Mais quand il s’agit de soutenir les mesures concrètes et efficaces pour mieux concilier vie familiale et professionnelle, les auteurs de ces propositions sont aux abonnés absents.
Protéger les travailleuses et les travailleurs : un enjeu de société
Toutes ces propositions de démantèlement de la protection des travailleuses et des travailleurs s’inscrivent dans un contexte d’explosion de la flexibilité, de la précarité, du stress et du mal-être au travail. Présentées souvent comme « une adaptation aux nouvelles réalités d’un monde du travail tertiarisé et mondialisé », elles ne sont en réalité rien d’autre qu’un moyen d’augmenter les profits sur le dos de la santé, de la vie familiale et sociale de leur personnel. Quant aux coûts générés par cette pression supplémentaire sur les travailleuses et travailleurs, ils sont reportés sur la collectivité.
Jean Christophe Schwaab est docteur en droit et spécialiste des questions de droit économique. Après avoir été conseiller communal et député au Grand conseil vaudois, il a siégé entre 2011 et 2017 au Conseil national pour le Parti socialiste. Il est aujourd’hui conseiller municipal à Bourg-en-Lavaux (VD).
Cette chronique est une « carte blanche » et reflète l’opinion de son auteur.
Interdire l’obligation des heures supplémentaires.