Oriane Sarrasin : « Écoutons ce que la montagne nous dit »

Un glacier s’est écroulé et a avalé un village valaisan entier. C’est un avertissement de la part de la montagne, estime Oriane Sarrasin dans sa chronique sur « direct ». Mais nous peinons à prendre en compte cette alerte. Pourquoi ?

Oriane Sarrasin Blatten
Images : keystone/Michael Buholzer/mise à disposition

Comme beaucoup, il y a plus d’une semaine, j’ai regardé, et regardé, ces images dystopiques, incrédule : un glacier s’effondre et ensevelit un village. Puis, comme tant d’autres, j’ai pensé à toutes ces personnes qui ont tout perdu en quelques secondes, ainsi qu’aux proches de la personne disparue. Puis, j’ai lu, beaucoup lu. D’un côté des prises de parole politiques sur place, les actions prises à court terme, et celles envisagées à moyen terme : faut-il reconstruire Blatten ? L’effort n’en vaut-il pas la peine ?

Dans tout cela, la notion d’un monde qui se réchauffe excessivement et trop rapidement semble étrangement absente. En même temps, des interviews de scientifiques se penchent sur le rôle — très probable — du changement climatique. Et je me suis demandé : quand nous écoutons la montagne, ne nous dit-elle pas d’agir ?

Comment vit-on les crises environnementales ?

Les crises environnementales — telles que le changement climatique ou la perte de la biodiversité — peuvent nous impacter de trois manières différentes.

Premièrement, directement, comme via des pluies diluviennes ou des laves torrentielles. Deuxièmement, indirectement : par exemple, une sécheresse peut politiquement et économiquement déstabiliser une région. Troisièmement, de manière dite « vicariante » : en gros, on sait que les effets des crises existent, même si on les ressent que peu, ou de manière peu fréquente.

« On le voit clairement : les conséquences des crises s’intensifient en même temps que l’écologie disparait des débats nationaux »

La conclusion naïve de cela devrait donc être : plus les crises environnementales nous impactent, plus on les perçoit comme proches, plus on va vouloir agir. Mais est-ce que cela marche vraiment comme cela ?

Cette question tarabuste la recherche dans mon domaine — la psychologie de l’environnement — depuis des décennies. Les études ont mis en exergue que la réalité n’est clairement pas aussi simple ! Si l’on perçoit les crises environnementales comme quelque chose de concret, qui arrive maintenant et ici, il est plus probable que l’on s’engage pour lutter contre, que ce soit via des gestes du quotidien, collectivement ou individuellement. Mais dire à des personnes qui ne le voient pas, ou ne veulent pas le voir, que la crise climatique nous touche de manière certaine maintenant et ici, cela ne rencontre qu’un succès extrêmement limité

D’ailleurs, on le voit clairement : les conséquences des crises s’intensifient en même temps que l’écologie disparait des débats nationaux. Est-ce que cela explique pourquoi les anticipations et réactions locales reçoivent généralement plus de soutien que des actions globales ?

Un lien entre nos actions et la montagne qui s’écroule

Que cela soit à travers le spectre politique ou au sein de la population, la solidarité avec les habitant-es de Blatten est en effet vive. On peut alors se demander : pourquoi ne pas être plus généralement solidaires avec toutes celles et tous ceux qui vivent dans des endroits particulièrement vulnérables aux crises environnementales, que cela soit dans des zones de montagnes, dans un petit pays insulaire ou dans des lieux très urbanisés, où la chaleur sera de moins en moins tolérable pendant les canicules ? Ou encore plus globalement envers celles et ceux qui héritent et hériteront d’une planète dans un tel état ? Il serait pourtant facile de mettre en œuvre cette solidarité, par exemple en modifiant nos propres comportements et en soutenant des décisions collectives.

« Même si on se rend compte de l’effet des actions individuelles favorables au climat, elles peuvent sembler bien éloignées d’une montagne qui s’écroule »

Mais pour cela, il faut déjà comprendre et admettre que les ressources que consomment les plus riches sont la cause de l’augmentation de catastrophes naturelles déclenchées par des évènements climatiques. Et quand je dis « les plus riches », je ne parle pas seulement des milliardaires et de leurs jets privés, mais également des nations. Même si elle est un petit pays, la Suisse émet relativement beaucoup de CO2 !

Pourtant, même si on se rend compte de l’effet des actions individuelles favorables au climat, telles que cesser de voyager en avion, diminuer drastiquement sa consommation de viande ou voter en faveur d’une loi pour le climat, ces actions peuvent sembler bien éloignées d’une montagne qui s’écroule. Certaines personnes se disent que cela ne sert à rien, ou qu’il faudrait être beaucoup plus à changer pour que cela ait un impact.

« On ne peut pas “juste” blâmer notre cerveau, en se disant que finalement, ne pas voir, ça se fait sans le vouloir… C’est notre responsabilité d’en faire plus »

Et cela, c’est parmi les personnes qui admettent qu’un monde qui se réchauffe, cela signifie que la montagne tombera de plus en plus. Qui de ceux et celles qui ne veulent pas le voir ?

Voir ou ne pas voir les effets des crises : une décision finalement ?

Finalement, cela reste un choix de voir ou d’entendre quel rôle la fonte du permafrost joue dans le cas de Blatten et de suivre d’autres évènements dans les médias suisse tels que les laves torrentielles dans le Val de Bagnes ou l’augmentation des risques climatiques en Suisse. C’est prouvé scientifiquement : nos opinions, nos ressentis sur ces thématiques guident notre attention. Nous allons majoritairement repérer dans les médias (ou ailleurs) ce qui est congruent — ce qui « colle »— avec notre vision du monde. Mais on ne peut pas « juste » blâmer notre cerveau, en se disant que finalement, ne pas voir, ça se fait sans le vouloir… C’est notre responsabilité d’en faire plus.

La montagne s’écroule. Écoutons ce qu’elle a à nous dire, et prenons des décisions collectives et individuelles pour stopper cette consommation effrénée des ressources pour que nous puissions regarder les plus jeunes, et futures, générations en face !

Ce texte a été écrit sans aucune aide de l’intelligence artificielle.

Oriane Sarrasin est enseignante et chercheuse en psychologie sociale. Ses recherches portent sur les aspects psychologiques sous-tendant l’(in)action climatique, et la manière dont les individus peuvent être persuadés d’agir davantage. Elle est également députée (PS) au Grand Conseil vaudois.

Cette chronique est une « carte blanche » et reflète l’opinion de son autrice.


LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici