« direct » : Il y a un an, une majorité d’Américains ont élu Donald Trump président pour la deuxième fois. Depuis, Trump fait la une des journaux avec ses décrets, ses provocations et son autosatisfaction. Comment résumeriez-vous cette première année avec Trump au pouvoir ?
Natascha Strobl : Actuellement, il se passe en une semaine plus de choses qu’au cours d’une année entière auparavant. Il est difficile de distinguer ce qui relève de la provocation et des gesticulations de ce qui est réel. Si une image symbolise ce qui s’est passé cette année, c’est bien la démolition de l’aile est de la Maison-Blanche, à la place de laquelle une salle de bal somptueuse doit être construite.
« direct » : Vous faites ainsi référence au démantèlement de l’État.
Natascha Strobl : Oui, ce « Department of Government Efficiency » créé par Elon Musk au début de l’année ne doit en aucun cas être sous-estimé. C’est sans doute le premier point important. Même si certaines coupes budgétaires et certains plans de démantèlement ont été annulés, cela a causé beaucoup de dégâts dans l’administration politique. Cela concerne par exemple l’aide étrangère « USAID », mais aussi des domaines tels que les contrôles alimentaires, la surveillance des médicaments et les inspections du travail. Ces derniers exemples peuvent sembler peu spectaculaires, mais imaginons que nous ne puissions plus être sûrs que les aliments vendus au supermarché ne nous rendront pas malades, sans parler des médicaments. Je pense que l’ampleur réelle de cette réduction ne sera perceptible qu’avec le temps.
« direct » : Et le deuxième point ?
Natascha Strobl : Trump a utilisé ses « groupes de casseurs » de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement, ndlr) pour traquer et arrêter arbitrairement des personnes, sans procès. Cela ébranle des aspects essentiels de l’État de droit. Un troisième point important est que Trump envisage régulièrement la possibilité d’un troisième mandat, bien que cela ne soit pas possible selon la loi américaine.
« direct » : Comment évaluez-vous la politique étrangère de Trump ?
Natascha Strobl : En ce qui concerne l’Ukraine et la Russie, Trump change d’avis de manière très imprévisible, ce qui le rend difficile à cerner. Et avec le cessez-le-feu au Proche-Orient, il a réussi un coup de maître dont il se vante aujourd’hui et qui le renforce sur le plan de la politique étrangère, même si l’on ne sait pas encore comment les choses vont évoluer et quelle a été exactement sa contribution.
« direct » : Les droits de douane ont également constitué le troisième thème marquant de la politique étrangère. Comment les évaluez-vous ?
Natascha Strobl : Il existe un schéma clair dans cette histoire de droits de douane : les annonces de Trump ont toujours lieu le vendredi. Les cours boursiers s’effondrent alors. Le mardi ou le mercredi, il se montre à nouveau conciliant et les cours boursiers se redressent. C’est une stratégie qui a probablement permis à certaines personnes de gagner beaucoup d’argent en achetant au bon moment à bas prix. Cela montre également comment la fonction de président des États-Unis est utilisée pour enrichir encore davantage la famille Trump.
« direct » : Cet été et en octobre dernier, il y a eu des manifestations de masse « No Kings » contre le gouvernement Trump. Cependant, les démocrates semblent être en état de choc. Comment expliquez-vous le silence du parti d’opposition ?
Natascha Strobl : J’ai effectivement l’impression que les dirigeants du Parti démocrate ne comprennent pas ce qui se passe réellement. Ils continuent de croire que ce que fait Trump n’est pas autorisé et n’est pas possible. Ils oublient que tout cela est bel et bien en train de se produire.
« direct » : Y a-t-il également des exemples positifs ?
Natascha Strobl : Dès le premier jour, Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez ont entrepris des tournées à travers le pays afin de discuter avec les gens, y compris dans les régions républicaines, et de leur demander si leur situation s’était améliorée sous Trump. Je considère qu’il s’agit d’une stratégie très efficace et je pourrais également imaginer qu’Ocasio-Cortez se présente aux primaires pour la présidence. Il existe d’autres exemples notables au sein de l’aile gauche des démocrates, comme Zohran Mamdani, qui a remporté haut la main les élections municipales à New York en affichant clairement une ligne politique de gauche.
« direct » : Est-il surprenant que ce soient précisément des personnalités de l’aile gauche du parti qui se distinguent ?
Natascha Strobl : Ces personnes ne se sont pas laissées intimider. Alors que de nombreux démocrates semblent avoir une peur incroyable de dire quelque chose de faux, Ocasio-Cortez et Mamdani se montrent intrépides.
« direct » : Comment cela se manifeste-t-il ?
Natascha Strobl : Mamdani a été critiqué à plusieurs reprises pour sa religion musulmane. Au lieu de se laisser intimider, il publie une publicité électorale en arabe pour souligner que les musulman-es font également partie de New York, renforçant ainsi son message d’intégration. Cela a un effet très convaincant sur de nombreux électeur-trices.
« direct » : Revenons à l’Europe. Quelle influence Donald Trump a-t-il sur les partis de droite ici ?
Natascha Strobl : Il y a un culte de la personnalité, des louanges et des discours sur le « président de la paix ». Les guerres culturelles de Trump et les agissements de l’ICE avec les expulsions permettent à la droite européenne de continuer à nourrir ses fantasmes de « remigration », dans le sens où « si même le président américain le fait, alors nous pouvons le faire aussi ». Avec l’idée de « Make Europe great again », des alliances sont recherchées aux États-Unis, et ce malgré le fait que l’anti-américanisme ait toujours été très présent dans la droite européenne. Les droits de douane ne cadrent pas avec cette image. Certains Européen-nes d’extrême droite se demandent pourquoi Trump sanctionne désormais d’autres nations « blanches » de l’hémisphère nord.
« direct » : Quel a été l’impact d’une année Trump sur les médias en Europe ?
Natascha Strobl : Il a reçu beaucoup d’éloges, notamment pour son « plan de paix » au Proche-Orient. J’ai parfois eu l’impression que certain-es journalistes n’attendaient que cela pour enfin pouvoir écrire quelque chose de positif. On a donc dit qu’il avait accompli quelque chose qu’aucun président avant lui n’avait réussi à faire, en particulier Biden et Obama. La question se pose rapidement : malgré toutes ses décisions inacceptables en matière de politique intérieure, est-il peut-être le « président de la paix » ?
« direct » : Quelles solutions envisagez-vous pour contrer ces changements politiques ?
Natascha Strobl : Par exemple, tous les États doivent réfléchir à la manière de sécuriser leurs données afin que les citoyens ne perdent pas leur accès à la connaissance, peu importe qui arrive au pouvoir. Les bases de données scientifiques doivent être protégées. L’administration politique a également besoin de protection, comme le montre l’exemple des États-Unis. Nous devons également réfléchir aux événements qui ont conduit au retour au pouvoir de Trump. Cela soulève la question du financement des partis politiques. Qui peut soutenir qui avec combien de dons et quelle influence les donateur-trices ont-ils et elles ainsi ? Ce sont là les points structurels.
« direct » : Quels sont les autres points ?
Natascha Strobl : Bien sûr, nous devons défendre la démocratie, mais nous sommes dans une position très faible sur le plan argumentatif. Car peut-être que la démocratie n’est pas aussi bonne qu’elle devrait l’être actuellement ? Nous devons donc réfléchir à ce que nous voulons défendre. Je ne connais plus personne qui croit que l’avenir sera meilleur que le présent. Cela doit changer. Nous devons esquisser un avenir meilleur que le présent, solidaire et démocratique. Cependant, nous sommes actuellement tellement occupés à empêcher que le présent ne soit détruit. Nous devons donc absolument passer à l’offensive !
Natascha Strobl est une politologue et journaliste autrichienne. Elle est experte en extrémisme de droite et en nouvelle droite. Son livre « Radikaler Konservatismus. Eine Analyse » (Conservatisme radical. Une analyse), publié en 2021, a reçu le prix Bruno Kreisky pour le livre politique 2021. Son nouveau livre « Kulturkampfkunst » (L’art de la lutte culturelle) paraîtra fin 2025.
