« Un génocide est en train de se dérouler en direct sous nos yeux »

Les collaborateur-ices des organisations humanitaires peinent à trouver des mots assez forts pour décrire la situation actuelle de la population dans la bande de Gaza. Alexandra Karle, directrice d’Amnesty International Suisse, est également sous le choc et exige que la communauté internationale agisse immédiatement.

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Une famille de réfugié-es dans le sud de la bande de Gaza. Image : keystone/NEWSCOM/ UPI/Newscom/Anas Deeb

« direct » : Alexandra Karle, comment Amnesty International évalue-t-elle la situation actuelle dans la bande de Gaza?

Alexandra Karle : Un génocide est en train de se dérouler « en direct » sous nos yeux. Je dois le dire aussi crûment. Nous savons que depuis le 2 mars, aucune aide humanitaire ne parvient à Gaza. Les gens meurent de faim, des enfants meurent, les hôpitaux ne peuvent plus opérer. Avec l’intensification des frappes aériennes et l’offensive terrestre de l’armée israélienne, il n’y a plus aucun endroit sûr pour la population. En bref, c’est tout simplement une catastrophe qui se déroule là-bas. Nous devons agir de toute urgence ! Nous devons nous lever maintenant et mettre un terme à cela.

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Alexandra Karle, directrice d’Amnesty International Suisse. Image : A. Schmidburg

« direct » : Amnesty International a-t-elle encore des collaborateur-rices sur place dans la bande de Gaza?

Alexandra Karle : Oui, nous avons encore des collègues sur place qui continuent à mener des enquêtes. Nos évaluations se basent sur leurs rapports et non sur des sources externes. Leurs messages reflètent l’horreur à l’état pur : des enfants blessés qui ne peuvent plus être opérés, le manque de médicaments anesthésiants, la famine, la peur des bombardements, le désespoir. À l’instar des collaborateur-rices d’autres organisations, ils et elles affirment n’avoir jamais vécu un tel enfer. Le silence de la communauté internationale les laisse également sans voix.

« Le gouvernement israélien accepte sciemment que des civil-es soient tué-es et affamé-es. Il n’y a pas d’autre façon de le dire. »

« direct » : À la mi-mai, l’armée israélienne a encore intensifié ses attaques.

Alexandra Karle : Israël avait demandé à la population palestinienne de se rendre dans le sud de la bande de Gaza. Mais depuis plusieurs jours, le nord et le sud sont soumis à des bombardements intensifs et les troupes terrestres de l’armée israélienne avancent. Une chose est claire : les expulsions forcées constituent une violation du droit international humanitaire et peuvent être considérées comme des crimes de guerre, tout comme les attaques contre des maisons civiles, des campements de fortune et des hôpitaux. Le gouvernement israélien accepte sciemment que des civil-es soient tué-es et affamé-es. Il n’y a pas d’autre façon de le dire.

« direct » : Amnesty International parle même de «génocide». Un mot fort.

Alexandra Karle : Les expert-es en droit international d’Amnesty sont unanimes : ce que nous voyons à Gaza répond aux critères d’un génocide. Nous n’utilisons pas ce terme à la légère, mais nous nous basons strictement sur la Convention des Nations Unies sur le génocide. Selon notre analyse, les conditions sont réunies. Bien sûr, l’évaluation juridique finale appartient aux tribunaux internationaux compétents.

« Les autres États doivent également tout mettre en œuvre pour mettre fin à ce génocide. Mais depuis, rien n’a été fait. »

« direct » : Y a-t-il déjà une évaluation à ce sujet?

Alexandra Karle : Oui, la Cour internationale de justice a déjà constaté début 2024 qu’il existe des signes évidents d’un génocide en cours à Gaza. Elle a demandé à Israël de prendre toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher. Les autres États doivent également tout mettre en œuvre pour mettre fin à ce génocide. Mais depuis, rien n’a été fait. Et ce, alors que tout le monde sait ce qui se passe. Je suis complètement sidérée.

« direct » : Même en Israël, certain-es sont consternés par le comportement de leur propre gouvernement. La libération des otages restés à Gaza ne semble plus être une priorité pour Netanyahou. Et l’intensification des bombardements est également rejetée par de nombreux Israélien-ennes. Comment évaluez-vous cette évolution en Israël même?

Alexandra Karle : La libération des otages reste très importante pour la population israélienne. Mais la conduite de la guerre est également critiquée : il y a d’énormes manifestations contre le gouvernement Netanyahou et l’action à Gaza. Partout dans le monde, des gens protestent contre la guerre à Gaza, notamment ce dernier week-end, où plus de 100 000 personnes ont manifesté à La Haye.

« direct » : L’objectif initial que le gouvernement israélien prétendait viser était l’éradication du Hamas. Dans quelle mesure cet objectif vous semble-t-il réaliste?

Alexandra Karle : La guerre menée par l’armée israélienne à Gaza ne contribue manifestement pas à déradicaliser le Hamas, ni à l’empêcher de mener ses attaques contre Israël. En même temps, le gouvernement israélien considère la population palestinienne de Gaza et de Cisjordanie comme étant liée au Hamas. Cela n’est pas acceptable. Même si le Hamas commet des crimes de guerre en continuant de retenir des otages ou en se retranchant derrière des infrastructures civiles, le droit international humanitaire stipule que toutes les parties belligérantes doivent respecter le droit international humanitaire, même si l’une des parties y contrevient.

« De nombreux États européens se sont déjà exprimés clairement à ce sujet. Les Pays-Bas, par exemple, demandent que l’accord d’association entre l’UE et Israël soit réexaminé, car il contient un engagement en faveur des droits humains. »

« direct » : Que devrait faire la communauté internationale maintenant?

Alexandra Karle : Il existe différentes possibilités d’action. La première consiste à appeler les choses par leur nom. Ce qui se passe à Gaza doit être reconnu comme un génocide et combattu comme tel. De nombreux États européens se sont déjà exprimés clairement à ce sujet. Les Pays-Bas demandent par exemple que l’accord de partenariat entre l’UE et Israël soit réexaminé, car il contient un engagement en faveur des droits humains. La majorité des ministres des Affaires étrangères de l’UE ont désormais approuvé cette demande. Cela montre que la communauté internationale peut clairement agir, que ce soit sur le plan politique ou économique. Elle pourrait par exemple interdire l’exportation de matériel de guerre et de biens à double usage vers Israël.

« direct » : La Suisse exporte également vers Israël des biens à double usage, c’est-à-dire des biens qui peuvent être utilisés à des fins civiles et militaires.

Alexandra Karle : Exactement, par exemple la technologie laser, comme l’a récemment révélé une enquête de la RTS. Outre l’interdiction d’exportation, toute coopération avec des entreprises, des organisations et des fondations qui soutiennent l’occupation dans les territoires palestiniens occupés pourrait également être interrompue. En bref, la communauté internationale dispose de nombreuses possibilités d’action. Mais à notre avis, la Suisse, en particulier, se montre actuellement trop réticente, alors qu’elle est dépositaire des Conventions de Genève.

« Selon le ministère palestinien de la Santé, au moins 13 000 enfants ont déjà été tués à Gaza. »

« direct » : Celles-ci régissent le droit international humanitaire.

Alexandra Karle : Précisément. J’attends donc instamment de la Suisse qu’elle prenne position et fasse tout ce qui est en son pouvoir pour mettre fin à ces atrocités. Selon le ministère palestinien de la Santé, au moins 13 000 enfants ont déjà été tués à Gaza. D’autres sources font état d’un nombre de victimes nettement plus élevé. Même si nous ne pouvons pas vérifier ce chiffre, cela suffit ! Nous devons agir maintenant. D’autres pays européens le font. Pourquoi pas la Suisse ?


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