Pourquoi parle-t-on de la nécessité d’avoir des crèches de qualité ? Que signifie « qualité » dans ce contexte ? Est-ce que les crèches actuelles sont de mauvaise qualité ? Il est essentiel de redéfinir ce que nous entendons par « crèche de qualité ».
« Aujourd’hui, être parent n’est pas facile. Entre le travail, la vie de famille, son couple, son individualité et une société qui demande toujours plus, il est compréhensible que certain-es se sentent submergé-es. »
Depuis le début de ma carrière, j’ai observé les pratiques de mes collègues, mais aussi les miennes. J’ai vu combien elles pouvaient être influencées par le contexte : collègues absent-es, démotivé-es, parents exigeants, perdus, dépassés, et des enfants évoluant dans une société où les attentes ne cessent d’augmenter sans pour autant offrir aux individus les moyens de s’y adapter, sans oublier le cadre institutionnel qui parfois nous étouffe ou ces politiques qui ne nous comprennent pas et décident des lois sans nous consulter parce qu’elles et eux savent….
Les parents se sentent submergés
Je vous entends déjà dire : « Oh ! ça va. Faut savoir prendre le dessus ! » Je vous laisse imaginer dans quelle mesure cela est possible après une semaine entière de travail passée dans ce contexte. Les éducateurs et éducatrices exercent eux aussi des métiers qui demandent un don de soi. Il n’y a rien de mystique, mais nous passons l’essentiel de nos journées à co-éduquer les enfants des autres, à être présent-es pour eux, tout en accompagnant les familles dans leur parentalité.
« Les éducateurs et éducatrices de l’enfance ont peu d’opportunités d’évolution de carrière. »
Aujourd’hui, être parent n’est pas facile. Entre le travail, la vie de famille, son couple, son soi et une société qui en demande toujours plus, il est compréhensible que certain-es se sentent submergé-es.
Le labyrinthe des formations
C’est ici que j’insiste sur le terme QUALITÉ. Pour offrir un environnement éducatif adéquat, il faut être formé-e. Aujourd’hui, les cursus de formation sont régis par un protocole d’études fédéral, mais chaque canton a ses spécificités. Les éducateurs et éducatrices de l’enfance ont une formation ES, ce qui les place à un niveau inférieur à celui des HES (Haute École Spécialisée), limitant ainsi leurs perspectives de carrière. Les assistantes et assistants socio-éducatifs, quant à eux, sont formé-es par un CFC qui leur permet de travailler dans plusieurs domaines (petite enfance, personnes âgées, handicap), mais ils sont souvent mieux rémunérés dans les autres secteurs.
« Se former aux enjeux actuels est crucial, mais la pénurie de personnel qualifié limite l’accès à la formation continue. Beaucoup d’auxiliaires non formé-es sont employé-es pour pallier ce manque, affaiblissant ainsi le système. »
Les éducateurs et éducatrices de l’enfance ont peu d’opportunités d’évolution de carrière. Au mieux, elles et ils peuvent devenir responsables de crèche. Mais pour se réorienter vers d’autres métiers du social, comme l’éducation spécialisée ou l’enseignement, elles et ils doivent recommencer une formation, car leur diplôme ES n’est pas reconnu au niveau HES ou universitaire. C’est très frustrant.
Nous sommes les seuls éducateur-trices à ne pas avoir un diplôme HES, et cela affecte notre salaire. Dire que nous gagnons trop est injuste. Avec toutes les responsabilités que nous avons au quotidien – travailler avec les enfants, soutenir les familles, collaborer en équipe – il est clair que notre travail n’est pas suffisamment reconnu ni rémunéré.
La pénurie de personnel nous empêche de nous former
Se former aux enjeux actuels est crucial, mais la pénurie de personnel qualifié limite l’accès à la formation continue. Beaucoup d’auxiliaires non formé-es sont employé-es pour pallier ce manque, affaiblissant ainsi le système. En théorie, nous avons droit à ces formations, mais en pratique, le manque de personnel pour nous remplacer complique tout. Certaines directions refusent les demandes de formation, car les quotas de diplômé-es ne sont plus respectés. Cette situation démotive les professionnel-les, qui finissent par perdre leur engagement et leur passion auprès des enfants.
« Oui, des crèches de qualité sont vitales pour notre pays. Il est temps que les différentes régions, avec leurs réalités linguistiques et culturelles, s’unissent pour ne plus freiner ce progrès. Les enfants, les familles, et les professionnels de la petite enfance le méritent. »
Professionnaliser nos métiers permet de valoriser les compétences nécessaires pour bien s’occuper des enfants. Prendre soin des enfants toute la journée n’est pas donné à n’importe qui. Notre quotidien dépasse largement l’image réductrice de simples jeux avec les enfants. Nous sommes des figures d’attachement qui permettent aux enfants d’évoluer en sécurité, d’apprendre la vie en collectivité, d’être en contact avec d’autres enfants. Ces interactions invisibles façonnent les adultes de demain.
Tout le monde mérite des crèches de qualité
Le lien avec les familles est tout aussi crucial. Combien de fois ai-je accueilli des parents démunis, perdus ? En onze ans de carrière, j’ai été une oreille attentive, une épaule réconfortante, une conseillère en éducation et parentalité. Il arrive que je passe plus de temps avec leur enfant qu’eux-mêmes, ce qui me permet de mieux connaître leurs besoins. Mais ce sont toujours les parents qui sont les expert-es de leur propre enfant.
Oui, des crèches de qualité sont vitales pour notre pays. Il est temps que les différentes régions, avec leurs réalités linguistiques et culturelles, s’unissent pour ne plus freiner ce progrès. Les enfants, les familles, et les professionnels de la petite enfance le méritent.
Amanda Ojalvo est éducatrice de l’enfance et adjointe de direction. Elle s’engage pour des crèches de qualité et abordables pour toutes les familles. En investissant dans les crèches, elle veut l’égalité des chances dès la naissance. Amanda Ojalvo est également élue (PS) au Conseil municipal de la Ville de Genève depuis 2019.
Cette chronique est une « carte blanche » et reflète l’opinion de son autrice.