Jean Christophe Schwaab : « Financement des retraites : prendre aux pauvres pour donner aux riches. »

Dans sa nouvelle chronique, Jean Christophe Schwaab revient sur la bataille qui s’ouvre au sujet du financement solidaire des retraites. La stratégie de la majorité de droite est claire : attaquer de toutes parts le premier pilier – le seul dont le financement soit solidaire – pour favoriser les solutions privées. Pour l’ancien conseiller national, ces manœuvres bénéficieront avant tout aux plus fortuné-es, au détriment des bas et moyens salaires.

Les partis bourgeois n’avaient pas encore perdu dans les urnes pour leur tentative de péjorer le deuxième pilier qu’ils lançaient déjà des assauts sur le financement du premier… tout en aggravant le caractère inéquitable et ruineux pour les finances publiques du troisième. Car si la réforme du financement du deuxième pilier devra être reprise à zéro (avec, cette fois, le respect des partenaires sociaux comme condition sine qua non du succès), le Conseil fédéral propose de financer la 13ème rente AVS d’une manière pour le moins inéquitable. De son côté, la majorité de droite du Parlement veut créer une nouvelle niche fiscale pour les hauts revenus dans le troisième pilier… et donc de faire financer par la collectivité une augmentation de leurs revenus à la retraite.

« Pour simplifier, une fois que vous avez acheté un yacht et un jet privé, vous n’en achèterez pas d’autres et ne paierez donc pas plus de TVA »

Pourquoi la TVA est injuste

Commençons par le premier pilier. Pour financer la 13ème rente AVS, le Conseil fédéral a choisi de ne proposer qu’une augmentation de la TVA. C’est un mode de financement qui a certes l’avantage de faire contribuer les retraité-es comme les actif-evs, mais le très gros défaut de péjorer le pouvoir d’achat des classes moyenne et modeste (actif-ves comme retraité-es), alors qu’elles subissent déjà le retour en force de l’inflation, la stagnation des salaires et l’explosion de dépenses essentielles comme les primes d’assurance-maladie ou les loyers.

La TVA est aussi un impôt particulièrement injuste, car il frappe les gens aisés et les gens modeste de la même manière. Pour caricaturer, le riche avare célibataire paie moins de TVA que la famille nombreuse. Et, pour l’achat d’un même bien (qu’il soit de première nécessité ou pas), riches et moins riches paient le même impôt, ce qui n’est pas compatible avec le principe d’imposition en fonction de la capacité économique, une règle fondamentale en matière d’équité inscrite dans la Constitution fédérale.

« La stratégie est claire : éviter à tout prix de trouver une solution acceptable au financement de la 13e rente pour créer un déficit dans le 1er pilier et pouvoir – enfin – justifier une hausse de l’âge de la retraite. »

Certes, les gens aisés ont tendance à effectuer des dépenses plus élevées que les personnes les moins aisées, mais cet effet diminue, puis s’arrête à mesure que croissent revenus et fortune. Pour simplifier, une fois que vous avez acheté un yacht et un jet privé, vous n’en achèterez pas d’autres et ne paierez donc pas plus de TVA.

Le serpent se mord la queue

Bien sûr, les ménages aux revenus les plus faibles bénéficient en priorité des taux de TVA réduits sur certains produits de première nécessité (eau potable, alimentation ou encore médicaments), ainsi que de l’absence de TVA sur une série de dépenses obligatoires (les loyers, les primes d’assurance-maladie, etc). En chiffres absolus, ces ménages seraient même moins touchés par l’augmentation annoncée de la TVA. Mais l’explosion des dépenses exemptées de TVA touche elle en particulier les bas revenus. C’est le serpent qui se mord la queue.

« Le but de ces manœuvres est clair : affaiblir non seulement l’AVS (en diminuant ses recettes) mais aussi son effet redistributeur, que la droite libérale hostile à une juste répartition des richesses a toujours eu en travers de la gorge. »

En résumé, la manœuvre de la droite pour financer la 13e rente met dans la balance un principe, celui du financement solidaire du 1er pilier. La stratégie est claire : éviter à tout prix de trouver une solution acceptable au financement de la 13e rente pour créer un déficit dans le 1er pilier et pouvoir – enfin – justifier une hausse de l’âge de la retraite.

Une solution simple et équitable : les cotisations salariales

Une solution simple et équitable aurait été de financer la 13ème rente par des cotisations salariales, qui ont le double avantage d’impliquer les employeurs et d’être très redistributives. Car, en raison du plafonnement des rentes et du déplafonnement des cotisations, les hauts revenus paient beaucoup sans que cela n’améliore leur rente. Cet effet redistributeur de richesses de l’AVS est encore accentué par le fait que la Confédération lui verse une part fixe de ses revenus.

« Les partis bourgeois souhaitent permettre aux gens qui en ont les moyens de compléter leur épargne-retraite (youhou, plus de sous !) tout en déduisant ces montants de leur déclaration (yoho, moins d’impôt !). »

Or, une partie de cet argent provient notamment de l’impôt fédéral direct, lui aussi très redistributeur, les hauts revenus étant plus fortement taxés. Il est donc d’autant plus scandaleux que le Conseil fédéral propose simultanément de réduire la part fédérale au financement de l’AVS, alors que celle-ci avait été augmentée dans le cadre du compromis sur la réforme de l’imposition des entreprises (RFFA) acceptée par le peuple en mars 2019. Le but de ces manœuvres est clair : affaiblir non seulement l’AVS (en diminuant ses recettes) mais aussi son effet redistributeur, que la droite libérale hostile à une juste répartition des richesses a toujours eu en travers de la gorge.

Les collectivités publiques elles aussi perdantes

Cette politique de redistribution des richesses à l’envers (alléger la contribution des plus aisé-es au risque d’affaiblir la protection des moins fortuné-es) pourrait encore être aggravée par la possibilité de « racheter » des cotisations de troisième pilier (la prévoyance-vieillesse libre et en grande partie déductible fiscalement), à l’instar de ce qui se fait pour le deuxième (une prévoyance certes individuelle mais obligatoire).

« La même majorité propose d’aggraver cette situation par une perte de recettes fiscales allant jusqu’à 150 millions de francs par an pour la Confédération et jusqu’à 450 millions pour les cantons et les communes. Des millions qui iraient directement dans la poche des personnes qui ont suffisamment de revenus pour se constituer une généreuse épargne-retraite. »

Les partis bourgeois souhaitent permettre aux gens qui en ont les moyens (grâce à un surplus de pouvoir d’achat dont ne bénéficie pas la grande majorité de la population) de compléter leur épargne-retraite (youhou, plus de sous !) tout en déduisant ces montants de leur déclaration (yoho, moins d’impôt !), en privant au passage les collectivités publiques des moyens dont elles ont besoin pour assumer leurs tâches au service de la population.

Redistribution des richesses… du bas vers le haut

Si l’on en croit la majorité de droite, les finances fédérales seraient dans un état catastrophique.  Pourtant la même majorité propose d’aggraver cette situation par une perte de recettes fiscales allant jusqu’à 150 millions de francs par an pour la Confédération et jusqu’à 450 millions pour les cantons et les communes. Des millions qui iraient directement dans la poche des personnes qui ont suffisamment de revenus pour se constituer une généreuse épargne-retraite. Bref, là encore, difficile de faire mieux en matière de redistribution des richesses du bas vers le haut.


Jean Christophe Schwaab est docteur en droit et spécialiste des questions de droit économique. Après avoir été conseiller communal et député au Grand conseil vaudois, il a siégé entre 2011 et 2017 au Conseil national pour le Parti socialiste. Il est aujourd’hui conseiller municipal à Bourg-en-Lavaux (VD).

Cette chronique est une « carte blanche » et reflète l’opinion de son auteur.

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