Oriane Sarrasin : « Quand on s’attaque aux messager-ères, c’est qu’on craint leur message »

Alors que nous votons le 24 novembre sur l’extension des autoroutes, Oriane Sarrasin rappelle dans sa nouvelle chronique que notre perception est non seulement façonnée par les arguments, mais aussi par celles et ceux qui les portent. Notre chroniqueuse met en lumière une tactique persuasive peu visible mais influente : quand on attaque le messager ou la messagère pour brouiller le message.

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Beaucoup, beaucoup a été écrit, dit, et débattu au sujet de l’extension des autoroutes, sur laquelle nous voterons la semaine prochaine. Je ne vais pas donc pas utiliser l’espace de cette chronique et votre attention pour vous proposer une énième liste des arguments en défaveur de ces extensions. D’autres l’ont déjà fait

« Les mêmes mots prononcés par deux personnes différentes peuvent avoir un effet totalement différent sur nous. »

En tant que (récemment élue) co-présidente de l’ATE Vaud, je suis impliquée dans cette campagne et l’ai donc suivie de près. Ce qui me marque, c’est la manière dont les multiples protagonistes du débat, et leurs compétences, sont présentés.

Le contenu du message contre sa source

Lorsque nous sommes confronté-es à un message – que cela soit l’avis d’un-e ami-e, un post sur les réseaux sociaux ou un l’interview à la radio d’une personne experte, deux éléments conditionnent l’effet dudit message. Ce qui va nous convaincre, c’est, d’un côté, ce qui appartient à la voie dite « centrale » de la persuasion. En gros, c’est le contenu même du message, les informations qu’il contient.

« Le fait de travailler pour une collectivité publique, d’être dans un parti ou une association ferait ainsi perdre tout sens d’objectivité. »

D’un autre côté, nous avons tous les éléments dits « périphériques » du message, en particulier tout ce qui a trait à la ou les personnes qui en sont la source. Les mêmes mots prononcés par deux personnes différentes peuvent avoir un effet totalement différent sur nous.

Peut-on être cycliste et expert-e en mobilité ?

Un exemple de mobilisation de la voie périphérique qui m’a frappée, ce sont les critiques émises contre les plus de 350 expert·es de la mobilité qui ont co-signé un texte dénonçant notamment l’absence de vision globale dans ces projets pharaoniques. La réplique ne s’est pas fait attendre, notamment dans un article du Blick. On y lit que « l’effet recherché est clair : le label d’expert doit donner une impression de neutralité. Leur statut semble être un synonyme de gage de vérité. » Le fait de travailler pour une collectivité publique, d’être dans un parti ou une association ferait ainsi perdre tout sens d’objectivité.

« On peut se demander comment les opinions politiques d’une personne chargée d’une administration publique (un conseiller fédéral, par exemple) influencent la manière dont elle communique les éléments centraux d’une thématique. »

Dix-sept scientifiques spécialistes de la mobilité ont également co-signé un texte publié dans un quotidien. J’ai ensuite lu sur les réseaux que les sciences sociales n’étaient pas des sciences exactes, au contraire des sciences fondamentales. Sous-entendu : autant ne pas se fier aux premières.

Peut-on être ex-lobbyiste et conseiller fédéral ?

Bien sûr, les partisan·es du « non » aux extensions pointent régulièrement du doigt l’ancienne casquette de lobbyiste des énergies fossiles d’Albert Rösti. Pour moi, ce n’est pas un problème en tant que tel (c’est-à-dire, s’il n’y a pas de conflit d’intérêt) : un-e politicien-ne est élu-e pour ses idées, qui se traduisent par des engagements professionnels ou autres dans des domaines correspondant à ces idées. En revanche, on peut se demander comment les opinions politiques d’une personne chargée d’une administration publique (un conseiller fédéral, par exemple) influencent la manière dont elle communique les éléments centraux d’une thématique.

« Comble de l’audace, j’ai décidé de croire mes collègues compétent-es dans ce domaine. »

Plusieurs épisodes m’ont particulièrement interrogée dans cette campagne : une étude annuelle de la Confédération sur les impacts du trafic dont la sortie est repoussée de plusieurs mois en 2024, des pronostics en termes de trafic qui changent, du brouillard autour de la question d’une potentielle augmentation du coût de l’essence, etc. Tout cela n’est-il bien qu’un hasard ?

Brouiller les pistes pour ne pas voir la réalité

Bien sûr, sur un sujet comme l’extension des autoroutes, je ne prétends pas moi-même à une quelconque neutralité. Je ne travaille pas directement dans le domaine, mais en tant que scientifique, j’ai effectué mes propres recherches à partir de sources reconnues sur la notion de trafic induit (ce n’est pas un mythe). Et, comble de l’audace, j’ai décidé de croire mes collègues compétent-es dans ce domaine. En tant que psychologue sociale cependant, je sais que lorsqu’on cherche à mobiliser la voie périphérique de la persuasion en décrédibilisant la source, c’est probablement qu’on veut diminuer l’impact de la voie centrale, du contenu du message.

« Plutôt que chercher à décrédibiliser les expert-es et remettre en question leurs compétences, si on commençait à les écouter ? »

En résumé, quand on s’attaque aux messager-ères, c’est qu’on craint leur message. Dans le cas des autoroutes, les expert-es de nombreux domaines – non seulement la mobilité, mais également le climat et la santé – mettent clairement en avant que cette extension des autoroutes n’est pas fondée sur une argumentation rationnelle. Plutôt que chercher à les décrédibiliser et remettre en question leurs compétences, si on commençait à les écouter ?

Oriane Sarrasin est enseignante et chercheuse en psychologie sociale. Ses recherches portent sur les aspects psychologiques sous-tendant l’(in)action climatique, et la manière dont les individus peuvent être persuadés d’agir davantage. Elle est également députée (PS) au Grand Conseil vaudois.

Cette chronique est une « carte blanche » et reflète l’opinion de son autrice.

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