Le Parlement veut mieux protéger les migrant-es victimes de violences

Si le droit de séjour d’une personne est lié à son ou sa conjoint-e, il peut être supprimé en cas de divorce. Et ce même si la raison de la séparation est la violence domestique. Une clause pour les cas de rigueur existe bien aujourd’hui et doit empêcher cela, mais elle est définie de manière très restrictive. Cette situation est amenée à changer. « direct » a rencontré Anna Tanner, du service d’aide aux victimes de la maison d’accueil pour femmes de Berne. Elle explique ce que cela va changer pour les victimes de violence.

(KEYSTONE/Elisabeth Real)

Si une personne dont le droit de séjour est lié à son ou sa partenaire se sépare en raison de violences domestiques, elle risque de perdre son autorisation de séjour. Le Parlement souhaite modifier cette pratique : après le Conseil national, le Conseil des États a lui aussi approuvé une modification de la loi en ce sens. La Chambre haute souhaite cependant atténuer cette adaptation sur ceux points.

Anna Tanner, assistante sociale à la maison d’accueil pour femmes de Berne, se montre visiblement soulagée : « Cette adaptation de la pratique des cas de rigueur en cas de violence domestique va énormément soulager les personnes concernées. » Dans une interview avec « direct », elle explique en quoi la loi actuelle est la problématique et ce que ce changement va signifier pour les personnes concernées.

Anna Tanner (Photo : Goran Basic).

« direct » : La réglementation actuelle de la loi sur les étrangers et l’intégration concernant la violence domestique a eu pour conséquence d’obliger des personnes migrantes à rester dans des relations violentes. Et ce, alors qu’une disposition relative aux cas de rigueur a été introduite dans la loi en 2005. Pourquoi la législation ne va pas assez loin ?

Anna Tanner : La législation actuelle est très restrictive. Elle ne s’applique par exemple qu’aux personnes mariées et le traitement varie selon le canton ou l’autorité compétente. Il est en outre difficile de prouver la violence domestique. Si un tribunal considère qu’il n’y a pas assez de preuves, les chances d’une demande de cas de rigueur sont très faibles. De nombreuses personnes victimes de violence ont intériorisé la logique suivante : « Si je me sépare, je perdrai mon droit de séjour ». Elles craignent donc de porter plainte pour les actes de violence.

Grâce au changement de loi, les organismes d’aide aux victimes peuvent désormais fournir une évaluation de la situation des victimes de violence. Sur la base de ces rapports, nous pouvons désormais exposer les violences subtiles, émotionnelles et sexuelles. Pour ces dernières, il n’existe souvent aucune preuve.

Le Conseil des États a décidé que seuls les centres d’aide aux victimes reconnus peuvent reconnaître le statut de victime et non pas tous les centres d’hébergement. En effet, tous les centres d’hébergement ne sont pas des centres d’aide aux victimes reconnus. Cette adaptation renforcerait l’inégalité de traitement entre les différents foyers d’accueil, ce que je ne trouve pas judicieux. J’espère donc que cette adaptation sera corrigée lors de l’élimination des divergences au Conseil national.

« direct » : Comment se manifeste le vide juridique actuel dans votre travail quotidien à la maison d’accueil pour femmes de Berne ?

Anna Tanner : De très nombreuses femmes ne veulent pas se séparer de leur partenaire malgré les violences qu’elles ont subies. Souvent, le partenaire les menace aussi et utilise la législation comme moyen de pression : « Si tu te sépares, tu perdras tout et tu devras retourner dans ton pays d’origine ». C’est ce que beaucoup craignent : revenir en tant que femme divorcée serait pour beaucoup dangereux et sans perspectives.

Nous disons toujours aux femmes qu’elles ont la possibilité de déposer une demande de cas de rigueur. Mais lorsque nous décrivons les critères, la plupart d’entre elles abandonnent – souvent à juste titre – avant même d’avoir entamé la fastidieuse procédure.

« direct » : Quelles améliorations la nouvelle législation apporte-t-elle concrètement ?

Anna Tanner : C’est avec un grand soulagement que nous accueillons la modification de cette loi. Elle donne plus de compétences aux institutions qui connaissent bien les personnes concernées et leur situation. C’est très important pour l’évaluation d’un cas. De plus, la nouvelle législation s’applique également aux victimes de violence qui ne sont pas mariées, comme les enfants, les concubins et les partenaires enregistré-es.

Il serait en outre important dans la nouvelle loi que les femmes ne soient pas obligées de remplir immédiatement les critères d’intégration. Si celles-ci ne peuvent pas être remplies en raison d’un handicap, d’une maladie ou d’autres raisons personnelles importantes, comme justement en cas de traumatisme dû à la violence domestique, il faut en tenir compte. Malheureusement, le Conseil des États a également décidé de supprimer cette partie. La balle est donc à nouveau dans le camp du Conseil national.

« direct » : Pensez-vous que la modification de la loi aidera les femmes à se libérer d’une relation violente ou existe-t-il d’autres facteurs qui font que les victimes de violence ne se séparent pas ?

Anna Tanner : La peur d’être expulsé-e est certainement l’une des principales raisons pour lesquelles les personnes migrantes ne se séparent pas lorsqu’elles subissent des relations violentes. Je pars du principe que beaucoup moins de femmes pourront être mises sous pression par leur partenaire dès que l’on saura que cette réglementation a été modifiée. Il est très important qu’une large communication ait lieu. L’insécurité qui régnait jusqu’à présent a en effet conduit à ce que des femmes déjà séparées retournent chez leur partenaire. Souvent, ces femmes reviennent tôt ou tard vers nous. C’est particulièrement tragique lorsque des enfants sont également concernés. La nouvelle législation permet des séparations durables et sans crainte.

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