La hausse des primes d’assurance-maladie n’est pas le seul problème auquel est confrontée la population en Suisse : les franchises élevées et la quote-part qui s’applique lors d’une visite chez le médecin sont également des facteurs de stress. Les conséquences sont graves : de plus en plus renoncent à aller chez le médecin, faute de moyens. Cela a de nombreuses conséquences négatives pour le système de santé et aggrave souvent la situation médicale des personnes concernées. Philippe Luchsinger, médecin de famille et président de l’association professionnelle des médecins de famille et de l’enfance, répond aux questions de « direct » à ce sujet.
« direct » : L’explosion des primes d’assurance-maladie conduit de nombreuses personnes à choisir la franchise la plus élevée. Cela signifie qu’elles doivent payer elles-mêmes, en plus des primes mensuelles, les 2500 premiers francs nécessaires à un traitement. Un simple examen est donc très cher malgré l’assurance. Quelles en sont les conséquences pour le système de santé ?
Philippe Luchsinger : Si vous savez que vous n’avez tout simplement pas les premiers 2500 francs plus les parts de la quote-part – donc encore une fois jusqu’à 700 francs – vous n’irez pas chez le médecin. Vous n’irez pas aux urgences et n’achèterez pas les médicaments dont vous avez besoin. On pourrait penser que le système de santé est soulagé par les franchises élevées. Seulement voilà : ce sont les mauvaises personnes qui ne se font pas soigner ! Les conséquences ? Une prise en charge nettement moins bonne, avec des coûts induits incomparablement plus élevés.
« Les patient-es souffrent inutilement ».
D’un point de vue médical, que signifie concrètement pour une personne le fait de renoncer à un traitement médical nécessaire pour des raisons financières ?
Il faut distinguer deux situations : dans la situation aiguë, on ne pose pas de diagnostic correct si l’on ne se fait pas évaluer par un-e spécialiste. Cela empêche à son tour un traitement adéquat.
Dans le cadre du suivi à long terme, cela signifie que les rendez-vous de contrôle ne sont pas honorés. Le suivi est donc interrompu et l’évolution est compromise. Cela entraîne à son tour davantage de complications, avec des répercussions sur la qualité de vie et la durée de vie. En d’autres termes, les patient-es souffrent inutilement.
« Ce qui est nouveau, c’est que les familles et les personnes de la classe moyenne ont de plus en plus de mal à payer leurs primes ».
Cette situation concerne-t-elle en premier lieu les personnes vivant dans la pauvreté ou menacées de pauvreté, ou les personnes à revenu moyen renoncent-elles de plus en plus à des traitements médicaux pour des raisons financières ?
Nous connaissons ce comportement depuis longtemps chez les personnes menacées de pauvreté. Dans ce cas, il existe parfois des possibilités de soutien. Mais ce qui est nouveau, c’est que les familles et les personnes de la classe moyenne ont de plus en plus de mal à payer leurs primes. Et renoncent de plus en plus à se faire soigner.
Cette tendance s’est-elle accentuée au cours des dernières années ?
Depuis 2010, la Suisse participe à une enquête internationale sur les soins de santé. L’année dernière justement, la quatrième enquête a été menée. Elle a clairement montré que le nombre de personnes qui renoncent à un traitement médical a nettement augmenté. Si 5 % étaient dans cette situation en 2010, ils seront près de 20 % en 2023. Soit une personne sur cinq !
« Tout retard, tout traitement inadéquat entraîne des complications très coûteuses ».
Ne pas se faire examiner, c’est prendre le risque qu’une maladie soit déjà bien avancée au moment du diagnostic. Quelles sont les conséquences pour le système de santé ?
Je peux peut-être illustrer mon propos par deux exemples : lors d’un diagnostic de cancer, le moment où la maladie est diagnostiquée est décisif. Moins il a pu se développer et se préparer, plus les chances de pouvoir le traiter avec succès sont grandes. Si le diagnostic est tardif, le coût du traitement est beaucoup plus élevé. Cela entraîne alors des coûts plus élevés et de moins bons résultats thérapeutiques, c’est-à-dire une durée de vie réduite et des souffrances inutiles.
« Avec l’initiative d’allègement des primes, les gens peuvent à nouveau choisir une franchise basse. En conséquence, une maladie pèse nettement moins sur le budget du ménage ».
Deuxième exemple : le diabète et l’hypertension artérielle. Aujourd’hui, les patient-es atteints de ces deux maladies, détectées tôt et traitées de manière conséquente, ont une espérance de vie normale, à un prix avantageux. Tout retard, tout traitement inadéquat entraîne des complications très coûteuses comme l’infarctus du myocarde ou l’insuffisance rénale. Cela peut être évité !
L’initiative d’allègement des primes veut plafonner les primes à 10 % du revenu. Cela ne résoudrait pas le problème des franchises élevées. Pensez-vous qu’un « oui » dans les urnes le 9 juin pourrait malgré tout inciter les patient-es à recourir à nouveau à temps aux soins médicaux ?
Avec l’initiative d’allègement des primes, les gens peuvent à nouveau choisir une franchise basse. En conséquence, une maladie pèse nettement moins sur le budget du ménage. Ces personnes ne devront plus renoncer à des soins nécessaires pour des raisons financières. Cela a des conséquences positives pour les patient-es, mais aussi sur les coûts de la santé.