Chaque matin, des milliers de professionnel-les de l’enfance accueillent les enfants qui feront la Suisse de demain. Ils et elles assurent leur sécurité, stimulent leur curiosité, accompagnent leurs émotions, favorisent leur autonomie. Leur engagement est total. Leur salaire l’est beaucoup moins.
La petite enfance reste aujourd’hui l’un des piliers les plus fragiles de notre politique sociale : indispensable, mais encore trop peu reconnu.
Des métiers essentiels, des salaires indécents
La Suisse compte près de 100 000 professionnel-les œuvrant dans les structures d’accueil de la petite enfance. Malgré des formations de plus en plus exigeantes et une responsabilité éducative majeure, leur rémunération demeure nettement inférieure à celle d’autres professions du social ou de l’enseignement.
Selon la convention collective du personnel de l’enfance vaudois (FSAE, 2025), un-e assistant-e socio-éducatif-ve débute à 4 706 CHF brut par mois. Un-e éducateur-trice social-e (ES) gagne au moins 5 189 CHF. Quant à une direction de crèche, le salaire se situe entre 6 500 et 11 000 CHF, selon la taille de la structure.
« Partout, la hiérarchie est claire : plus la responsabilité éducative est directe, moins le ou la salarié-e gagne »
Dans le canton de Genève, les échelles sont légèrement supérieures, en raison du coût de la vie plus élevée, mais les écarts persistent. À Zurich, une vaste étude menée par la ville de Zurich, l’association kibesuisse et le syndicat SSP donne un salaire médian annuel de 64 000 CHF pour le personnel qualifié de base, 76 000 CHF pour les diplômé-es du tertiaire et 90 000 CHF pour les directions.
Partout, la hiérarchie est claire : plus la responsabilité éducative est directe, moins le ou la salarié-e gagne. Par ailleurs, même les directions de crèches ne sont pas payées à la hauteur de leurs responsabilités, finalement ils et elles gèrent des PME.
Un enjeu de qualité et d’égalité
Ces chiffres ne sont pas qu’une question de justice salariale. Ils conditionnent directement la qualité de l’accueil des enfants. La précarité relative du personnel éducatif entraîne un turn-over élevé, beaucoup de personnes quittent le domaine après quelques années., une pénurie croissante et des ruptures de lien éducatif pour les familles.
Or la recherche est formelle : la qualité de la relation précoce entre l’enfant et les adultes qui l’entourent détermine largement les chances de réussite future.
« L’investissement dans ces métiers n’est pas une dépense, c’est une politique publique de long terme, au service de la cohésion sociale et de l’inclusion »
En d’autres termes, valoriser les professionnel·les de la petite enfance, c’est agir à la racine pour l’égalité des chances.
Comme le rappelle le SSP, le syndicat pour les secteurs publics et parapublics, « on ne résoudra pas la pénurie de personnel avec des vocations à bas coût ». L’investissement dans ces métiers n’est pas une dépense, c’est une politique publique de long terme, au service de la cohésion sociale et de l’inclusion.
Sortir de la zone grise
La Suisse ne dispose toujours pas d’un cadre national pour les salaires de la petite enfance. Chaque canton, chaque commune, chaque structure privée, applique ses propres barèmes. Cette mosaïque entretient des inégalités criantes : plus de 20 % d’écart entre certains cantons pour des postes identiques.
L’absence de CCT obligatoire dans de nombreuses régions laisse le champ libre à la concurrence par les coûts, au détriment de la qualité éducative et des conditions de travail.
Il est temps de sortir la petite enfance de la zone grise entre éducation et social pour en faire un véritable champ professionnel reconnu, avec des droits, des passerelles et des perspectives.
Revaloriser, c’est reconnaître
Revaloriser les salaires, c’est reconnaître la complexité du travail éducatif : la planification pédagogique, la gestion des émotions, le dialogue avec les parents, la coordination interprofessionnelle.
C’est aussi permettre à celles et ceux qui exercent ces métiers — très majoritairement des femmes — de vivre dignement de leurs compétences.
L’égalité salariale passe par la reconnaissance des métiers du soin, du lien et de la transmission. Malheureusement, le Parlement actuel et ses majorités dans les deux chambres ne traite pas ces problèmes avec l’urgence nécessaire pour trouver des solutions.
« Les professionnel-les de l’enfance construisent jour après jour le socle de notre société.
Ils et elles ne réclament pas des privilèges, mais une reconnaissance à la hauteur de leur mission »
Pour le Parti socialiste et les syndicats, les acteurs ayant reconnu le problème, la voie est claire :
- Étendre les CCT cantonales et créer une CCT nationale de branche ;
- Conditionner les subventions publiques au respect de barèmes équitables ;
- Harmoniser les grilles salariales pour garantir des conditions décentes sur tout le territoire ;
- Valoriser la formation tertiaire éducateur-trice social-e (ES) et les passerelles entre les formations d’assistant-e socio-éducatif-ve (ASE), d’éducateur-trice de l’enfance (EDE) et des membres de direction des institutions comme les crèches.
Pour une reconnaissance pleine et entière
Les professionnel-les de l’enfance construisent jour après jour le socle de notre société.
Ils et elles ne réclament pas des privilèges, mais une reconnaissance à la hauteur de leur mission : permettre à chaque enfant de grandir dans la sécurité, la curiosité et la confiance.
Valoriser ces métiers, c’est affirmer que la justice sociale commence dès le berceau. Tant que cette valorisation n’est pas mise en œuvre au sein de nos institutions politiques fédérales, le personnel des crèches continuera d’être épuisé et surmené. La question que nous devons tous-tes nous poser est donc : à quoi ressembleront les crèches dans 5, 10, 15 ans ?