« Le congé parental doit offrir du temps supplémentaire sans compromettre la protection des mères » selon une experte

Selon la politologue Meret Lütolf, la politique familiale suisse doit être améliorée. Elle critique l’absence de stratégie, la brièveté du congé parental et les insuffisantes solutions de garde d’enfants. Elle craint également que la proposition des partis bourgeois de flexibiliser le congé parental ne mette en danger la protection des mères.

Une femme souriante aux cheveux bouclés et portant des lunettes apparaît en surimpression sur la droite de l’image. À l’arrière-plan, une personne adulte tient un bébé sur ses genoux et lui lit un livre illustré dans une pièce lumineuse.
Images : mise à disposition/Unsplash

«direct»: Meret Lütolf, quelle note attribuez-vous à la politique familiale suisse?

Meret Lütolf : D’un point de vue international, j’attribuerais actuellement à la politique familiale suisse un « juste suffisant ». Ces dernières années, il y a eu quelques progrès, par exemple l’introduction du congé de l’autre parent de deux semaines ou quelques investissements ponctuels dans l’accueil extrafamilial des enfants. Toutefois, ce qui manque est une politique globale, stratégique et cohérente.

«direct»: À quoi une telle politique devrait-elle ressembler?

Meret Lütolf : Les mesures concernant les familles sont en Suisse réparties entre différentes institutions. Elles se retrouvent dans le droit du travail, dans le système fiscal, les assurances sociales, ou encore dans la politique de l’éducation. Mais il manque un office fédéral doté d’un mandat clair pour coordonner efficacement ces mesures. Aujourd’hui, nous avons une mosaïque d’actions individuelles, sans objectif clair. Or, la politique familiale serait un instrument central pour appliquer l’article sur l’égalité inscrit dans la Constitution. Par exemple, en mettant en œuvre une répartition plus égalitaire du travail et du travail rémunéré.

« Après les 14 semaines de congé maternité, on suppose implicitement que les familles prolongent cette période par des congés non payés ou des vacances. dans la réalité, de nombreux parents n’ont pas les moyens financiers de faire cela»

«direct»: Il n’existe pas de congé parental en Suisse, seulement 14 semaines de congé maternité et deux semaines pour l’autre parent. Cela dégrade-t-il votre note?

Meret Lütolf : Oui, très clairement. Dans mes recherches, j’ai mis au point un indicateur comparant la « qualité égalitaire » des régimes de congé parental dans 20 pays de l’OCDE. La Suisse y obtient un résultat particulièrement mauvais. Les raisons principales sont la courte durée totale du congé parental, la grande différence entre les sexes, et l’insuffisance de l’indemnisation pour de nombreuses familles. Un point particulièrement critique est la sélectivité sociale.

«direct»: Qu’est-ce que cela signifie concrètement, la sélectivité sociale?

Meret Lütolf : Après les 14 semaines de congé maternité, on suppose implicitement que les familles prolongent cette période par des congés non payés ou des vacances. Mais, dans la réalité, de nombreux parents n’ont tout simplement pas les moyens financiers de faire cela. S’ajoute qu’il n’existe pas de droit généralisé à une place de garde — surtout pas pour un tout petit bébé — à cause de la mosaïque des politiques familiales. Et si une famille trouve tout de même une place, une nouvelle difficulté surgit : l’accueil extrafamilial est très coûteux. Ces familles qui ne peuvent pas se permettre une pause professionnelle plus longue ne sont pas soutenues par les structures actuelles — souvent, les grands-parents doivent intervenir. Mais si aucune aide des grands-parents ou d’autres réseaux privés n’est possible, ces familles subissent une forte pression. La sélectivité sociale implique que la manière de gérer le temps après la naissance dépend fortement des ressources financières et familiales. La possibilité de prendre des congés non payés, comme le retour à la vie professionnelle sont inégalement répartis.

«direct»: Qu’en est-il de l’égalité des chances entre hommes et femmes, pourtant inscrite dans la Constitution?

Meret Lütolf : C’est également un point important qui peut être amélioré : la réglementation actuelle suppose un modèle familial traditionnel où les mères assurent le travail de care gratuit. Cette vision politique ignore le fait que les modèles familiaux et les schémas d’activité professionnelle ont beaucoup évolué. Aujourd’hui, la majorité des mères en Suisse travaillent. Et les familles égalitaires — avec deux parents occupants tous deux un emploi à temps plein ou à temps partiel — ont nettement augmenté ces 15 dernières années.

« Les modèles de congé parental dont les jours ou semaines peuvent être librement réparties entre les parents n’ont guère d’effet sur l’égalité»

«direct»: Au Parlement, certain-es élu-es de droite ont proposé de
«
flexibiliser» le congé parental. Concrètement, leur proposition souhaite limiter le congé parental à 16 semaines pour les deux parents, avec la possibilité de le transférer librement à l’autre parent. Un minimum de huit semaines serait consacré à la mère pour son rétablissement. Que pensez-vous de cette proposition?

Meret Lütolf : Le terme « flexibilisation » est trompeur dans ce contexte. Ce qui semble offrir plus de choix aux familles n’est en fait qu’un déplacement d’un temps déjà très limité : l’autre parent ne pourrait bénéficier d’un congé plus long que si la mère retourne plus tôt au travail. Cela ne crée aucun temps supplémentaire, mais transfère simplement la durée existante d’un parent à l’autre. Les modèles de congé parental dont les jours ou semaines peuvent être librement réparties entre les parents n’ont guère d’effet sur l’égalité, comme le montrent les expériences internationales. Seuls les congés strictement individuels, non transférables et suffisamment indemnisés permettent réellement aux pères d’assumer davantage de responsabilités de prise en charge. Ce type de mesure favorise l’égalité sur le long terme — les autres propositions ne sont que symboliques.

«direct»: Les critiques de cette solution alertent sur le fait qu’elle pourrait mettre en danger la protection desmères. Partagez-vous cet avis?

Meret Lütolf : Oui, il existe effectivement un risque que le temps nécessaire pour la protection de la santé des mères soit compromis. Cela pourrait aller à l’encontre des directives internationales. Une politique de congé parental efficace doit offrir du temps supplémentaire aux parents, sans remettre en cause la protection indispensable des mères.

«direct»: Imaginons que vous étiez magicienne: à quoi ressemblerait un congé parental idéal en Suisse qui serait mis en place du jour au lendemain?

Meret Lütolf : D’un point de vue scientifique, 4 critères sont essentiels pour un modèle de congé parental efficace. Premièrement : une durée paritaire et individuelle. Chaque parent bénéficierait de six mois de congé parental rémunéré — en plus de la protection de maternité. Ces six mois ne seraient pas transférables. Il est important que chacun-e soit libre de prendre ou non ce congé, pour garantir une réelle liberté d’organisation familiale. Deuxièmement : une sécurité financière. L’indemnisation devrait idéalement s’élever à 100 % du salaire, afin que toutes les familles, y compris à revenu modeste, aient accès au congé parental. Troisièmement : une flexibilité d’utilisation. Le congé pourrait être pris à temps partiel, par étapes ou sur une longue période, afin de mieux concilier travail rémunéré et famille selon les besoins. Quatrièmement : des mesures coordonnées. Le congé parental devrait être accompagné d’une offre de garde d’enfants accessible, de qualité et abordable, idéalement avec un droit à une place de crèche garanti par la loi.

L’experte

Meret Lütolf est chercheuse à l’Université de Berne, spécialisée dans la politique familiale. Elle a consacré sa thèse de doctorat aux modèles de congé parental et à la répartition du travail rémunéré et du care dans les pays de l’OCDE.


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