Aujourd’hui, le Conseil Fédéral a adopté le contreprojet à l’initiative « de l’électricité pour tous en tout temps (Stop au Blackout) ». Déposée en février 2024 et munie de 129’000 signatures, cette initiative propose d’ajouter deux alinéas à l’article 89 de la Constitution : « l’approvisionnement en électricité doit être garanti en tout temps. À cet effet, la Confédération attribue les responsabilités » et « la production de l’électricité respecte l’environnement et le climat. Toute forme de production d’électricité respectueuse du climat est autorisée ». Bien que le mot « nucléaire » ne soit pas utilisé, tout converge pour indiquer que c’est bien cette forme d’énergie — décrite comme « propre » par les initiant-es — qui est avant tout concernée.
Pour rappel, en 2011, le Conseil fédéral de l’époque décide d’interdire la construction de nouvelles centrales nucléaires suite à l’accident majeur de Fukushima. Or, dans son contre-projet, l’exécutif national actuel revient sur cette décision, en proposant de modifier la loi sur l’énergie nucléaire pour permettre la construction de nouvelles centrales. Selon une étude de l’Académie suisse des sciences naturelles, il n’est techniquement pas possible d’avoir une telle centrale opérationnelle avant 2050. Alors, pourquoi un tel renouveau du nucléaire ? Comme l’affirment les initiant-es, rejeter cette énergie car elle fait peur pourrait-il être contreproductif pour le climat ?
Véritable danger ou peur irrationnelle
A l’origine (notamment financière) de cette initiative, l’on trouve un couple de physicien-nes octogénaires, les Aergerter. Dans l’argumentation de Madame — passionnée de l’atome qui s’habille toujours dans les couleurs de cette énergie, le bleu et le vert — on retrouve ce qu’elle perçoit comme une peur irrationnelle, notamment suite à Fukushima : « On a fait peur au peuple, mais personne n’a été tué. Et surtout les Japonais n’avaient pas mis à jour cette installation nucléaire », affirme-t-elle à l’antenne de la RTS.
Que le nucléaire soit perçu comme plus dangereux que ce qu’il est en réalité est une ligne argumentaire centrale des initiant-es. Ainsi, le président des jeunes PLR valaisan-nes avançait dans Forum que l’énergie nucléaire « est la moins mortelle » ; moins que l’éolien et le solaire selon lui.
Or, si l’on s’éloigne des débats politiques et que l’on interroge des spécialistes, on voit que le nucléaire n’est pas sans danger. Tout d’abord, suite à un accident nucléaire, même en l’absence de décès directs, des populations peuvent être déplacées et la faune et la flore fortement impactées.. De plus, comme le pointent des scientifiques, il n’y a pas que l’exploitation nucléaire qui peut être source de problèmes : il faut également tenir compte de ce qui se passe avant (l’extraction de l’uranium) et après (les déchets, dont on ne sait toujours pas quoi faire).
Quel que soit son niveau de dangerosité, la peur du nucléaire joue un rôle dans son rejet. La baisse de l’enthousiasme pour cette source d’énergie observée au fil du temps notamment en Europe est en partie expliqué par les accidents de Chernobyl et de Fukushima. Ainsi, en Suisse, une étude scientifique a mis en évidence des attitudes plus négatives et des niveaux de de méfiance envers le nucléaire plus élevés juste après ce second accident, en comparaison à quelques mois avant. Mais est-ce uniquement la peur qui mène à vouloir se passer de l’énergie nucléaire ? Quid de la peur du changement climatique ? Nous pousse-t-elle à accepter cette énergie souvent décrite comme « propre » ? La réponse est : plutôt non.
Technosolutionnisme plutôt que sobriété
Comme présenté par les initiant-es — qui affirment même que c’est le GIEC (le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) qui le préconise — l’énergie nucléaire est-elle une solution pour atténuer le changement climatique ? Certain-es écologistes convaincu-es voient son utilisation comme un moindre mal. Par exemple, George Monbiot — journaliste et activiste connu au Royaume Uni — a documenté sa transformation en environnementaliste pro-nucléaire. Mais cela reflète-t-il une tendance générale ? Il ne semblerait pas : la recherche pointe qu’au contraire, moins on se fait du souci pour le changement climatique, plus il est probable qu’on soutienne le nucléaire.
Cela me mène à faire le lien avec un autre « dragon de l’inaction » : le technosolutionnisme, ou la croyance que la technologie va nous sauver (le terme anglophone — technosalvation — reflète même mieux cette notion de sauvetage). Sans nier que la technologie peut contribuer à lutter contre le changement climatique, croire que celle-ci peut à elle seule – sans modification des comportements humains – résoudre le problème est une manière de ne pas initier des changements individuels ou collectifs. Cette foi technosolutionniste, on a la retrouve dans les prises des initiant·es, qui évoquent des améliorations techniques au niveau du nucléaire. Y croire pour ne pas se remettre en question, pour ne pas admettre que peu importe la source, on utilise beaucoup trop d’énergie, c’est cela que je constate.
Donc non, ni l’initiative ni le contre-projet, très proches conceptuellement, ne sont en faveur du climat : ils sont là pour fermer les yeux sur notre surconsommation et ne pas investir pour l’avenir.