Oriane Sarrasin : « La solidarité, avant et après les intempéries »

Dans sa première chronique pour « direct », la chercheuse en psychologie sociale Oriane Sarrasin revient sur les réponses aux violentes intempéries qui ont frappé la Suisse. Rappelant que le réchauffement en Suisse est plus du double de la moyenne mondiale, elle explique que le dérèglement climatique est marqué par de fortes inégalités, tant dans la production des émissions que dans ses impacts.

Les intempéries de fin juin, qui ont provoqué crues et laves torrentielles en Valais et au Tessin, nous l’ont cruellement rappelé : le dérèglement climatique a des conséquences très concrètes en Suisse. Bien sûr, ceux et celles qui nient le problème nous serviront leur habituelle rengaine : « Des événements météorologiques extrêmes, comme la crue du Rhône en 1948, il y en a toujours eu ».

Le dérèglement, il est vrai, n’invente rien, mais…  il multiplie et amplifie ! Plus il fait chaud, plus l’air peut contenir d’eau (environ 7% de plus par degré additionnel), comme l’a expliqué la climatologue Martine Rebetez sur Forum; ce qui rend de plus en plus probables des événements tels que ceux du weekend.

« Car soyons réalistes, de profondes inégalités sociales caractérisent le dérèglement climatique. »

Solidarité, ici et ailleurs

Face au désarroi des personnes et des entreprises touchées, nous ne pouvons que ressentir de la solidarité ; solidarité qui peut s’exprimer par des pensées, des mots, des dons, de l’aide concrète. Mais la solidarité ne devrait pas seulement être d’adaptation, à savoir après que le dérèglement climatique a frappé. Elle devrait également être d’atténuation, à savoir en amont, en réduisant nos émissions maintenant, pour le bien d’autres, ici et ailleurs, maintenant et dans le futur.

Car soyons réalistes, de profondes inégalités sociales caractérisent le dérèglement climatique. Si l’on évoque ces injustices, ce sont usuellement celles entre des régions du Sud global, qui subissent moult chaleurs et événements extrêmes, et des pays occidentaux comme le nôtre, davantage protégés, qui nous viennent à l’esprit. C’est en partie vrai, mais ce type d’évocations spontanées découle également de la distance psychologique que nous mettons entre un phénomène effrayant et global et notre quotidien, que l’on veut croire prémuni. La situation est en effet plus complexe, avec un hémisphère Nord qui se réchauffe plus vite que la moyenne mondiale, avec déjà près de 3° de plus en Suisse par rapport à l’ère préindustrielle.

« Un revenu plus élevé s’accompagne généralement d’un logement plus grand, de davantage de kilomètres parcourus (notamment en avion), et d’habitudes de consommation et de loisirs plus polluants. »

La Suisse et les inégalités

Même dans un petit pays comme le nôtre, des disparités criantes existent. La liste est longue :

  • Des régions, comme celles de montagne, sont plus touchées que d’autres.
  • Résidant bien souvent dans des zones plus bétonnées, les ménages et les individus les plus vulnérables sont plus exposés aux îlots de chaleurs lors de canicules.
  • La subsistance de certaines professions, comme celles de l’agriculture, est plus impactée que d’autres par le trop chaud, par l’alternance du pas assez et du trop d’eau.
  • Et face à cela, les différences sont d’autant plus marquées lorsque l’on s’intéresse à qui est à la source des émissions : les riches polluent plus que les pauvres. Et nous ne parlons pas que des super riches qui prennent un jet privé comme l’on prend un taxi.

« Pour que les intempéries de ce weekend redeviennent, quand les enfants d’aujourd’hui seront les seniors de demain, un événement rare. »

Les hauts revenus polluent plus

On peut tout à fait avoir une pompe à chaleur dans sa propriété et une voiture électrique (dont les ventes reculent d’ailleurs), et croire que l’on a fait sa part, alors que l’on participe en réalité directement au dérèglement climatique. En effet, un revenu plus élevé s’accompagne généralement d’un logement plus grand, de davantage de kilomètres parcourus (notamment en avion), et d’habitudes de consommation et de loisirs plus polluants.

L’empreinte des ménages moins aisés est certes toujours trop élevée si la Suisse veut atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés, mais le potentiel de réduction est plus faible dans ces ménages. En bref : les plus fortuné-es sont ceux qui devront faire plus d’efforts pour atteindre nos objectifs climatiques.

« La plupart d’entre nous ne verrons pas ou que peu les fruits, en termes d’impact sur le climat, de leurs efforts personnels, et des efforts collectifs que nous soutenons. Mais faisons-le quand même, pour nous et pour les autres. Par solidarité. »

Agissons, par solidarité pour les autres

Une partie des actions possibles est également hors de portée, comme lorsqu’on est obligé-e de se chauffer avec des énergies fossiles parce que son propriétaire ne prend pas ses responsabilités environnementales, ou veut injustement en répercuter le coût sur ses locataires (ce qui devrait être interdit, soit dit en passant).

Tout ce qui est pris, pour le plaisir immédiat, se fait au détriment d’autres régions, et des générations futures. Faisons preuve de réalisme : la plupart d’entre nous ne verrons pas ou que peu les fruits, en termes d’impact sur le climat, de leurs efforts personnels, et des efforts collectifs que nous soutenons. Mais faisons-le quand même, pour nous et pour les autres. Par solidarité. Pour nous, car une vie moins carbonée n’est pas une vie sans plaisir, mais souvent une vie plus saine, où ce qui était perçu comme nécessaire devient superflu. Et pour les autres surtout, pour que les intempéries de ce weekend redeviennent, quand les enfants d’aujourd’hui seront les seniors de demain, un événement rare.


Oriane Sarrasin est enseignante et chercheuse en psychologie sociale. Ses recherches portent sur les aspects psychologiques sous-tendant l’(in)action climatique, et la manière dont les individus peuvent être persuadés d’agir davantage. Elle est également députée (PS) au Grand Conseil vaudois.

Cette chronique est une « carte blanche » et reflète l’opinion de son autrice.

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