Léon Salin : « De l’intime au politique – un parcours trans à l’heure de Trump »

Léon Salin est un homme transgenre. Il éduque et sensibilise sur l’inclusion des personnes trans et non-binaires. Mais le climat politique actuel, écrit-il pour « direct », a profondément transformé son travail.

Léon Salin trans
Léon Salin. Image : mise à disposition

Je me souviens encore de la première fois où j’ai entendu mon prénom, « Léon », prononcé à voix haute. C’était comme une renaissance. Avant cela, chaque « madame » me rappelait que je n’étais pas celui que je ressentais au plus profond de moi. Ce malaise, je l’ai porté pendant des années avant de comprendre : je suis un homme. Cette révélation n’était pas seulement un coming out intime ; c’était une affirmation, le début d’un parcours qui allait complètement bouleverser ma vie et la place que j’occupais dans ce monde.

« La simple découverte de mon identité trans a été repoussée par les représentations négatives que j’avais intégrées sur les personnes trans »

J’ai grandi dans un environnement qui semblait inadapté à mon existence. À 14 ans, j’étais lesbienne ; à 20 ans, un homme trans. J’ai enchaîné les obstacles qui obstruaient mon développement. La simple découverte de mon identité trans a été repoussée par les représentations négatives que j’avais intégrées sur les personnes trans : elles me faisaient peur, au point de vouloir échapper à cette réalité. Il m’a fallu des années pour accepter qui j’étais. Au début de ma vingtaine, j’ai enfin pu entreprendre le parcours social et médical qu’on appelle une « transition de genre ».

Des biais violents dans le monde professionnel

Parallèlement à ce combat intime, j’ai poursuivi des études à rallonge : d’abord en Relations Internationales, puis un master en communication digitale à l’Université de Genève. Après ces années de formation, je suis arrivé sur le marché du travail avec la même ambition que mes ami-es : trouver un premier emploi en lien avec mes études. Mais très vite, j’ai compris que mon parcours allait être différent. Lors de mes premiers entretiens, les questions portaient toujours sur ma transidentité, jamais sur mes compétences. Tant que mon identité suscitait la curiosité, je restais un objet d’interrogation, jamais un professionnel reconnu. Cette violence des biais m’a poussé à réagir.

« Chaque intervention est un pas de plus vers un monde où les personnes trans sont pleinement comprises et incluses dans nos sociétés »

Et ces chiffres en témoignent : 20 % des personnes trans en âge de travailler sont au chômage, soit cinq fois plus que la moyenne nationale ; 16 % des entreprises évitent explicitement d’embaucher une personne trans ; plus de 30 % des personnes trans au chômage ont été licenciées en raison de leur identité de genre. Quant à la durée du chômage, elle atteint en moyenne 20,2 mois, frôlant la durée maximale d’indemnisation de 24 mois.

J’ai donc choisi de lutter contre ces statistiques, et c’est ainsi qu’est née l’Association Salin. Par l’éducation et la sensibilisation, je propose des formations sur l’inclusion des personnes trans et non-binaires, ainsi que des ateliers conçus pour transformer les mentalités et briser les préjugés. Chaque intervention est un pas de plus vers un monde où les personnes trans sont pleinement comprises et incluses dans nos sociétés.

L’identité trans non protégée contre la haine

Mais en 2025, un séisme politique est venu ébranler la progression des droits LGBTQIA+ en général. L’élection de Donald Trump aux États-Unis a marqué un tournant mondial. Trump a qualifié les personnes trans de « folie », supprimé les financements pour les écoles qui enseignaient la diversité, et imposé une vision réactionnaire qui a trouvé un écho bien au-delà des frontières américaines. En Suisse, la transphobie est bien présente. Mon parcours de transition social et médical a été un réel combat. Mais il s’exprime aussi dans l’absence de protection juridique explicite : la norme 261 bis du code pénal, qui condamne l’incitation à la haine, ne couvre pas l’identité de genre. Malgré des initiatives parlementaires visant à l’élargir, l’identité trans reste absente de ce texte, laissant un vide légal qui alimente les discriminations au quotidien.

« Malheureusement, la haine et l’ignorance ne connaissent pas de frontières ; heureusement, la résistance non plus »

Ce climat international a profondément transformé mon activité de formateur en diversité et inclusion (D&I). Hier, former ses équipes aux diversités était une marque de progrès et d’intelligence collective. Aujourd’hui, nombreuses sont les entreprises qui font marche arrière, redoutant les polémiques et préférant s’aligner aux nouvelles normes étas-uniennes. Malheureusement, la haine et l’ignorance ne connaissent pas de frontières ; heureusement, la résistance non plus.

Pourtant, malgré ces obstacles, je garde espoir. Parce que l’ascension de leader-euses conservateur-rices me rappelle l’importance de la visibilité trans et des projets éducatifs qui combattent l’ignorance, cette racine de la haine. Chaque fois que je raconte mon parcours, je veux rappeler que la transidentité n’est pas un débat d’opinion : c’est une réalité humaine, et son respect est une question de dignité.

« Être trans, c’est exister à voix haute dans un monde qui voudrait nous réduire au silence. »

Aujourd’hui, je suis convaincu que la pédagogie est notre arme la plus puissante. Que la parole est un outil de transformation. Et que la visibilité est un acte politique. Être trans, c’est exister à voix haute dans un monde qui voudrait nous réduire au silence. Et c’est aussi, surtout, la preuve que la peur n’aura jamais le dernier mot.


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