Monsieur Siegenthaler, les élu-es bourgeois disent depuis toujours que les salaires minimums menacent les emplois. Que dit la science sur l’effet des salaires minimaux sur le marché du travail ?
Michael Siegenthaler : Ce sujet est désormais l’une des questions les plus étudiées dans la recherche économique. Le lauréat du prix Nobel d’économie 2021, David Card, a également mené des recherches dans ce domaine et a ébranlé ce « mantra » avec son étude parue au début des années 1990. Son travail a fait en sorte que l’on ne croit plus simplement à la théorie dominante de l’époque, mais que l’on commence à regarder les faits et les chiffres. Il existe aujourd’hui des centaines d’études sur les effets du salaire minimum sur l’emploi dans différents contextes. La grande majorité des chercheurs-euse s’accordent à dire que les salaires minimums ne sont pas des tueurs d’emplois. La peur des salaires minimums dans ce domaine n’est pas fondée sur des faits vérifés. Il faut toutefois préciser que le niveau des salaires minimums est déterminant.
« IL EXISTE AUJOURD’HUI DES CENTAINES D’ÉTUDES SUR LES EFFETS DES SALAIRES MINIMUMS SUR L’EMPLOI DANS DIFFÉRENTS CONTEXTES. LA GRANDE MAJORITÉ DES CHERCHEUR-EUSES S’ACCORDENT À DIRE QUE LES SALAIRES MINIMAUX NE SONT PAS DES TUEURS D’EMPLOIS ».
En Suisse, nous parlons de salaires minimaux d’un montant maximal de 23 francs.
Michael Siegenthaler : Ce sont des salaires minimaux modérés pour la Suisse. La recherche parle de salaires minimaux élevés lorsque ceux-ci se situeraient peut-être aux deux tiers ou plus du salaire médian. Cela correspondrait à environ 26 francs pour l’ensemble de la Suisse. Dans la ville de Zurich, où le salaire médian est supérieur à 7800 francs, il avoisinerait même les 30 francs.
Les salaires minimums cantonaux sont relativement nouveaux en Suisse. Existe-t-il déjà des résultats de recherche à ce sujet ?
Michael Siegenthaler : Je connais deux études sur le salaire minimum à Neuchâtel. Les résultats s’inscrivent dans la lignée des recherches menées jusqu’à présent. On ne trouve pas non plus d’effets négatifs sur le marché du travail à Neuchâtel.
Et que se passe-t-il au niveau des salaires ?
Michael Siegenthaler : Les salaires minimaux font ce à quoi on pourrait s’attendre. Au bas de l’échelle, ils provoquent une hausse des salaires. La recherche montre également que la mise en œuvre fonctionne plutôt bien. Les gens reçoivent un salaire plus élevé et ne perdent pas leur emploi.
Les salaires minimaux ont-ils d’autres effets sur la structure des salaires ?
Michael Siegenthaler : Certain-es chercheur-euses ont trouvé des effets positifs sur des salaires supérieurs de 20 % au salaire minimum. D’autres ne trouvent ces effets que pour des salaires très légèrement supérieurs au salaire minimum. Indépendamment de cela, il apparaît que les inégalités salariales diminuent. En même temps, les salaires plus élevés ne sont pas affectés par le salaire minimum – ils ne baissent donc pas. Un salaire minimum augmente donc en conséquence la masse salariale globale : l’écart salarial au sein de l’entreprise diminue et la répartition des salaires devient plus égale.
« UN SALAIRE MINIMUM AUGMENTE DONC LA MASSE SALARIALE TOTALE. L’ÉCART SALARIAL DANS L’ENTREPRISE DIMINUE ET LA RÉPARTITION DES SALAIRES DEVIENT PLUS ÉGALE ».
Que signifie l’augmentation des salaires pour les consommateur-trices ? Tout devient plus cher ?
Michael Siegenthaler : Il est vrai que, selon la plupart des études, les consommateur-tricess paient pour les salaires plus élevés. Mais avant d’avoir le sentiment que tout devient extrêmement cher, il faut y regarder de plus près. Il est essentiel de savoir quelle est la part des coûts salariaux dans les coûts totaux d’une entreprise. Et plus bas encore, quelle part des coûts salariaux totaux est concernée par un salaire minimum. Pour la plupart des entreprises, l’augmentation des coûts due au salaire minimum n’est donc pas si importante. Dans le commerce de détail, par exemple, les coûts salariaux représentent peut-être 20 % des coûts totaux. L’augmentation des salaires des employé-es de caisse mal rémunéré-es n’est pas non plus très importante par rapport à l’ensemble des coûts salariaux, car les employé-es payé-es au salaire minimum gagnent par définition peu, travaillent parfois avec des taux d’occupation réduits et n’ont donc pas un poids aussi important en termes de salaire.
Cela signifie que même si les coûts supplémentaires sont entièrement répercutés sur les consommateur-trices sous la forme d’une hausse des prix, cela n’est guère perceptible à l’achat.
Et les consommateur-trices l’acceptent-ils et elles ?
Michael Siegenthaler : Si les consommateur-trices n’étaient pas prêt-es à payer, ils et elles consommeraient moins. Cela entraînerait une baisse du chiffre d’affaires et les entreprises devraient licencier du personnel en conséquence. Mais comme nous ne voyons généralement pas d’effets négatifs sur l’emploi, on peut dire que les consommateur-trices sont prêt-es à le faire.