Depuis son retour dans le bureau ovale, Donald Trump s’en est (entre autres !) frontalement pris à la lutte contre le dérèglement climatique. Sortie des Accords de Paris, fin de financements des recherches sur le sujet, licenciements de scientifiques, censure… mais qu’espère-t-il vraiment ? Et certaines de ses autres actions pourraient-elles, malgré lui, avoir un impact positif — même si momentané — pour le climat ?
Quand la science dérange
Perçues comme « woke » et biaisées, les universités constituent une cible de choix pour Donald Trump, qu’il accuse également d’antisémitisme pour certaines. De la fin de politiques de diversité et d’égalité à des coupes de subventionnements, le président américain va beaucoup plus loin que durant son premier mandat. Une véritable fuite des cerveaux semble s’être enclenchée. Selon un sondage effectué par Nature, une des revues de recherche les plus prestigieuses au monde, ce seraient jusqu’à trois-quarts des scientifiques basé-es aux USA qui songeraient à quitter le pays.
« ‹ Climat › fait partie des mots censurés pour obtenir ou maintenir un subventionnement fédéral de recherche »
Tout comme l’égalité, le changement climatique est un sujet qui semble particulièrement hérisser le poil de Donald Trump. L’un des tout premiers décrets qu’il a signé après son investiture est celui actant la sortie (pour la deuxième fois !) des Etats-Unis des Accords de Paris.
« Climat » fait également partie des mots censurés pour obtenir ou maintenir un subventionnement fédéral de recherche. Au-delà des velléités économiques, telles que les gains présumés d’une grande extraction d’énergies fossiles (« drill, baby, drill » !), à quoi peut donc bien servir de se voiler la face ?
Des marchands de doute à l’autruche
Remettre en question l’existence d’un phénomène, ou s’attaquer aux personnes qui mettent en lumière ledit phénomène, est une technique longuement éprouvée. En 2010, les historien-nes Noami Oreskes et Eric M. Conway publient Merchants of doubt (les marchands de doute), une enquête minutieuse qui démontre comment s’est organisée, par certaines industries (tabac, énergies fossiles, etc.), la décrédibilisation des faits scientifiques qui les dérangent.
« Donald Trump va encore plus loin que de jeter le doute : il joue à l’autruche »
Quelques scientifiques — entretenant des liens étroits avec ces industries — ont polarisé le débat, intervenant bien souvent sur des domaines qui ne sont pas les leurs, alors que l’état des recherches penchait nettement dans un sens (par exemple, on le sait depuis longtemps — le changement climatique est d’origine humaine). Ces scientifiques ont jeté le doute…
Ce brouillard — créé artificiellement — est à même de créer ce qu’on appelle de la distance psychologique. Les crises environnementales peuvent nous paraître lointaines dans le temps et affectant avant tout des pays loin du nôtre, ce qui baisse notre volonté d’agir contre ces crises. Si elles nous paraissent hypothétiques plutôt que certaines, la même inaction tend à s’installer.
Donald Trump va encore plus loin que jeter le doute : il joue à l’autruche. Ce qu’il ne voit pas n’existe pas, et ce qu’il rend invisible n’existe pas. Mais comment tenir cette ligne argumentaire face à la montée des températures, à la multiplication et à l’aggravation des phénomènes climatiques ? Trouver des boucs émissaires est une technique, comme blâmer la gestion des forêts et de l’eau quand des incendies ravagent une ville. Présenter la recherche qui nous dérange comme nécessairement orientée politiquement en est une autre (j’ai d’ailleurs écrit une chronique l’année passée sur ce sujet).
« Ironie du sort, certaines décisions de Trump amèneront à une baisse temporaire des émissions dans certains domaines »
Face à l’une des plus grandes menaces que l’humanité n’a jamais connue et connaîtra, ces techniques tendent à payer : il peut être rassurant de se dire que c’est la faute de quelqu’un d’autre, ou que les scientifiques exagèrent, plutôt que d’admettre l’ampleur et l’inéluctabilité de la crise. Ainsi, la relation floue que Trump entretient avec la réalité continuera malheureusement à trouver des adeptes, même bien au-delà de son pays. Cependant, ironie du sort, certaines de ces décisions amèneront malgré lui à une baisse temporaire des émissions dans certains domaines.
L’ironie du sort
J’écris ces lignes quelques jours après le « Liberation Day », ce fameux jour où l’administration Trump a annoncé des nouveaux, et très élevés, frais de douanes. Le choc est grand dans de nombreux pays, dont la Suisse (+31 % de frais dans certains domaines ! ça va faire cher le gruyère vendu aux US). Le sujet occupe largement les médias depuis ces annonces — et les analyses quant aux conséquences vont bon train.
« Toute réduction de la consommation basée uniquement sur des facteurs exogènes momentanés ne mène qu’à un effet rebond »
N’étant pas une spécialiste des domaines concernés, je ne m’aventure pas à en avancer une. Ce que je comprends, c’est qu’en toute probabilité, les prix de certains biens vont augmenter — et qui dit augmentation des prix dit bien souvent baisse de la consommation. Or, quand on sait que les biens et services pour les ménages privés peuvent expliquer jusqu’à 60 % des émissions carbone, le potentiel de réduction est énorme.
Il n’y a pas de quoi se réjouir non plus : sans compter la précarité dans lesquels de nombreux ménages risquent de tomber face à la possible inflation et aux pertes d’emploi, toute réduction de la consommation basée uniquement sur des facteurs exogènes momentanés ne mène bien souvent qu’à un effet rebond — on consomme comme avant ou même plus quand on en a de nouveau la possibilité. Il suffit de regarder l’exemple de l’aviation pendant et après le COVID…
Ce texte a été rédigé sans aucune aide de l’intelligence artificielle.
Oriane Sarrasin est enseignante et chercheuse en psychologie sociale. Ses recherches portent sur les aspects psychologiques sous-tendant l’(in)action climatique, et la manière dont les individus peuvent être persuadés d’agir davantage. Elle est également députée (PS) au Grand Conseil vaudois.
Cette chronique est une « carte blanche » et reflète l’opinion de son autrice.