Le phénomène global du changement climatique, ainsi que ses conséquences locales — éboulement, incendies, inondations et j’en passe — sont très régulièrement, si ce n’est quotidiennement, mentionnés dans les médias. D’autres problématiques environnementales représentent tout autant un danger pour le futur de l’humanité, mais sont moins connues du grand public.
« Le décalage entre le refus de reconnaître qu’on dépasse les limites et le refus d’une solution pour respecter ces mêmes limites ne me surprend pas. »
On les retrouve dans un cadre scientifique publié pour la première fois en 2009 : les neuf limites planétaires. Nous savons maintenant que six de ces limites ont dépassé le seuil qui permet à notre espèce de continuer à vivre et à se développer dans un écosystème sûr. Chaque pays, chaque organisation, chaque individu contribue de manière plus ou moins à ces dépassements, et la Suisse n’est pas en reste.
Une question de bon sens
C’est sur ce constat que se base l’initiative des jeunes Vert·x·es. Cette proposition de modification constitutionnelle, sur laquelle la Suisse votera le 9 février, demande à ce que « la nature et sa capacité de renouvellement constituent les limites posées à l’économie nationale ». Le Conseil fédéral et le Parlement recommandent de voter non, et aucun contre-projet n’a été proposé. De nombreuses voix décrivent ce texte comme irresponsable, car mettant en péril l’économie et la consommation.
« Ce qui semble souvent plus paradoxal, c’est qu’on puisse reconnaître l’évidence scientifique et l’ampleur des problèmes, et pourtant s’opposer à des mesures pour corriger (suffisamment) le tir. »
Or, comme l’a dit un opposant lors d’un passage à la radio, ce n’est finalement que du bon sens de constater qu’on ne peut pas consommer plus que ce que la Terre peut générer. Le décalage entre le refus de reconnaître qu’on dépasse les limites et le refus d’une solution pour respecter ces mêmes limites ne me surprend pas.
Pourquoi dépasser les limites planétaires ne fait pas (assez) peur ?
Dans le domaine de la psychologie environnementale, c’est surtout la perception du changement climatique qui a été étudiée, mais les constats qui en ont été tirés s’extrapolent sans problème à d’autres problématiques. Évidemment, il y a des personnes qui nient que les activités humaines impactent la nature et le climat, mais ce n’est pas sur le déni que je m’attarderai dans cette chronique. Ce qui semble souvent plus paradoxal, c’est qu’on puisse reconnaître l’évidence scientifique et l’ampleur des problèmes, et pourtant s’opposer à des mesures pour corriger (suffisamment) le tir. Pourquoi ? Tout comme les faits physiques, les explications psychologiques sont multiples et c’est sur deux d’entre elles que je placerai une focale ici.
Tout d’abord, les limites planétaires sont des phénomènes abstraits et globaux. Cela crée une distance psychologique, non seulement entre eux et notre quotidien, mais également entre l’effet de potentiels changements dans nos comportements et lesdits phénomènes. En effet, même si nous avons été concrètement témoins ou victimes du dépassement des limites planétaires, l’impression d’impuissance peut nous empêcher d’agir. Alors, on peut se demander : pourquoi certaines personnes agissent tout de même ?
Pourquoi certaines personnes changent-elles pourtant ?
La deuxième variable psychologique que je souhaite aborder ici est notre capacité à prendre en compte « l’autre », au sens générique, dans nos prises de décisions. Changer son mode de vie (ce sont la mobilité, l’alimentation et le logement qui, dans notre quotidien, impactent le plus les limites), s’engager collectivement ou soutenir de nouveaux cadres normatifs : on le fait avant tout pour les futures générations ou pour d’autres régions du monde (et encore), plutôt que pour soi-même à court ou moyen terme. Cela peut contraster assez nettement avec les effets très concrets dans nos têtes que pourraient avoir sur notre vie quotidienne, ici et maintenant, des mesures permettant de revenir dans les limites.
« Mon impression personnelle est que je n’ai observé que peu de volonté de se mettre autour d’une table pour réfléchir à ce que nous devons faire. »
Bien sûr, loin de moi l’intention de diviser le monde en deux groupes — les altruistes qui se soucient du futur, et les autres, égoïstes, seulement du présent. En tant que chercheuse, je sais que toute réalité est complexe et que notre cerveau traite plus aisément nos activités quotidiennes que des phénomènes plus abstraits. De plus, dans le cas de la présente initiative, proposant un objectif général dans la Constitution, il est difficile d’estimer comment la population se représente les mesures à prendre. J’ai lu et écouté de nombreuses interventions sur le sujet, et il me semble encore ardu de démêler les actions qui pourraient s’avérer essentielles de celles qui relèvent du débat politique, souvent empreint d’emphase.
Mon impression personnelle est que je n’ai observé que peu de volonté de se mettre autour d’une table pour réfléchir à ce que nous devons faire pour assurer une qualité de vie suffisante, maintenant et dans le futur. Ce manque de volonté est surtout présent au sein des partis bourgeois, qui assurent que la Suisse fait déjà bien assez pour le climat et les limites planétaires – ce que l’on peut qualifier de « discours du délai ». Et tant pis pour le consensus scientifique, qui démontre que cela n’est pas le cas.
Ce texte a été généré sans aucune aide de l’intelligence artificielle
Oriane Sarrasin est enseignante et chercheuse en psychologie sociale. Ses recherches portent sur les aspects psychologiques sous-tendant l’(in)action climatique, et la manière dont les individus peuvent être persuadés d’agir davantage. Elle est également députée (PS) au Grand Conseil vaudois.
Cette chronique est une « carte blanche » et reflète l’opinion de son autrice.