Quand la rédaction de « direct » m’a demandé d’écrire quelques lignes en relation avec la grève féministe, j’ai d’abord voulu refuser. C’est qu’actuellement je me sens parfois à mille lieues des préoccupations traditionnelles des milieux féministes : l’égalité des salaires et des chances, la lutte contre le harcèlement sexuel, les violences domestiques.
Ce qui m’obsède ce matin, ce sont les enfants tués ou mourant de faim à Gaza, les jeunes hommes mutilés d’Ukraine, les victimes oubliées des guerres sur le continent africain, et à quelques dizaines de kilomètres de chez moi, les habitants désespérés d’un village englouti sous la glace et les gravats.
« J’ai vu de mes propres yeux ces camps de rétention pour des migrants déboutés, financés par le gouvernement de Giorgia Meloni, qui m’ont fait penser à des camps de concentration »
Et voilà qu’en allant sur Internet, je tombe sur une photo me ramenant à la cause féministe. Sur cette photo figurent la première ministre italienne Giorgia Meloni et Edi Rama, le premier ministre albanais, lui en train de s’agenouiller devant elle. Le texte figurant en-dessous de l’image évoque les liens étroits unissant les deux chefs d’État. Notamment le projet controversé de déporter des migrants déboutés par l’Italie dans des camps, dits de rétention, en Albanie.
Les hasards de la vie ont fait que j’ai vu de mes propres yeux ces locaux financés par le gouvernement de Giorgia Meloni et construits à cet effet dans ce pays tout proche des côtes italiennes. C’était au mois d’octobre dernier. Sur une piste d’aéroport désaffecté, dans une zone de collines arides non loin de la frontière du Monténégro, j’ai aperçu une rangée d’immenses containers et cubes de béton entourés de hauts murs et de fils de fer barbelés. L’ensemble avait l’aspect sinistre d’un camp de concentration.
« Giorgia Meloni et Ursula von der Leyen ne prônent rien d’autre que la fermeture des frontières et le rejet de « l’autre » »
Verser à un État des centaines de millions d’euros pour se débarrasser de personnes jugées indésirables, cela ressemble fort, selon moi, à de la traite d’êtres humains. Que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ait donné son accord à ce que, dans la langue de bois, on appelle « l’externalisation du problème migratoire », ne change rien à la réalité des faits.
Giorgia Meloni et Ursula von der Leyen, l’une de manière plus diplomatique que l’autre, ne prônent rien d’autre que la fermeture des frontières, le rejet de « l’autre », particulièrement des plus vulnérables.
À ces deux noms de femmes, il faut malheureusement en ajouter deux autres : Marine Le Pen, dont le parti a fait de la limitation de l’immigration son cheval de bataille ainsi qu’Alice Weidel, la nouvelle icône de l’extrême-droite allemande.
« Ces quatre femmes font partie des personnalités politiques les plus en vue de notre continent. Elles incarnent pourtant l’idéologie la plus dangereuse de notre temps »
Ces quatre femmes font partie des personnalités politiques les plus en vue de notre continent. Quatre femmes que les médias se plaisent à mettre en avant. Quatre femmes, qui sont censées être des modèles pour la génération venant après la leur. Quatre femmes qui incarnent pourtant l’idéologie la plus dangereuse de notre temps.
« J’ai envie de rappeler la consigne donnée par la National Organization of Women (NOW) lors de l’élection présidentielle américaine de 1980 : Votez pour une femme, oui, mais à la condition sine qua non qu’elle soit favorable à l’égalité raciale et au droit à l’avortement »
Des femmes pareilles, mes camarades, mes sœurs, je n’en veux pas, ni en politique, ni ailleurs. Lorsque j’entends que certains et certaines féministes militent pour l’élection d’une femme à un poste à responsabilité quelle que soient les valeurs dont celle-ci se réclame, j’ai envie de leur rappeler la consigne donnée par la National Organization of Women (NOW) lors de l’élection présidentielle américaine de 1980 : votez pour une femme, oui, mais à la condition sine qua non qu’elle soit favorable à l’égalité raciale et au droit à l’avortement.
« Aujourd’hui, il ne suffit plus de se battre pour l’égalité des genres au nom de la justice »
Je voudrais maintenant faire un pas de plus. Aujourd’hui, il ne suffit plus de se battre pour l’égalité des genres au nom de la justice. Sur cette pauvre planète si maltraitée, les femmes doivent apporter quelque chose de spécifique au monde de la politique et de l’économie. Quelque chose que nous avons appris de nos mères, de nos grands-mères, de nos aïeules, et que nous sentons vibrer dans notre cœur et dans nos tripes.
Ce quelque chose, le poète chilien Pablo Neruda l’a formulé magnifiquement :
Ha llegado la hora de la aurora…
La hora de la luz organizada,
la hora de todas las mujeres juntas
defendiendo la tierra, la paz, el hijo.
Elle est arrivée, l’heure de l’aurore…
L’heure de la lumière qui se met en place,
L’heure de toutes les femmes rassemblées
pour défendre la terre, la paix, l’enfant.
Gabrielle Nanchen était une des premières femmes élues au Parlement en 1971 ou elle s’est engagée notamment en faveur d’une assurance-maternité obligatoire et d’un congé parental, de la dépénalisation de l’avortement ainsi que de l’abolition du statut de saisonnier. La socialiste était, entre autres, également présidente de Swissaid.
Ce champ libre est une « carte blanche » et reflète l’opinion de son autrice.