L’Euro 2025 cartonne, mais le foot féminin « dérange encore »

Cette année, la Suisse accueille l’Euro de football féminin, qui suscite beaucoup d’intérêt. Le football féminin a-t-il atteint tous ses objectifs ? « direct » discute des inégalités de genre encore présentes dans ce sport avec Tamina Wicky, commentatrice de matchs de football féminins.

Montage visuel : à gauche, plusieurs footballeuses en maillots rouges arborant la croix blanche de la Suisse célèbrent un but sur un terrain vert, l’une d’elles, portant le n° 7, court bras ouverts, visage rayonnant. À droite, en surimpression sur fond blanc, une commentatrice assise devant un ordinateur portable, coiffé d’un casque audio avec micro, regarde l’écran concentré.
Images : keystone/APA/Eibner/mise à disposition

Cette année, la Suisse accueille le Championnat Européen de football féminin du 2 au 27 juillet. « direct » discute des inégalités de genre encore présentes dans ce sport avec Tamina Wicky, commentatrice de matchs de football féminins.

« direct » : Quelles sont selon vous les inégalités principales auxquelles sont confrontées les joueuses de foot ?

Tamina Wicky : La première inégalité, c’est les niveaux des salaires. La plupart des joueuses suisses doivent travailler à côté du foot : les joueuses du Servette-Chênois, un des meilleurs clubs du pays, gagnent entre 500 et 4000 francs par mois. Et même en sélection nationale, il y a certaines joueuses qui doivent travailler à côté. Par conséquent, les joueuses ne peuvent ni aussi bien s’entraîner, ni aussi bien récupérer en comparaison avec leurs homologues masculins.

Deuxièmement, il y a un manque d’infrastructures généralisé. Souvent, ce sont les équipes qui ont le plus d’ancienneté qui gardent leur créneau horaire pour l’entraînement. Quand une équipe féminine est créée, les clubs ont de la peine à la caser. Les femmes reçoivent donc des horaires pas très pratiques pour s’entraîner. Ainsi, elles jouent souvent sur des terrains de qualité plus basse que les hommes y compris pendant le championnat. Il n’y a même pas toujours de vestiaires disponibles.


« La plupart des joueuses suisses doivent travailler à côté du foot »


Troisièmement, les matchs féminins ont une mauvaise couverture médiatique. Lors du Championnat Suisse, par exemple, il y a une seule caméra, il n’y a pas de commentaire. Ça rend le match un peu ennuyeux à suivre. Sans ralentis, on voit moins les gestes techniques, on voit moins les actions, on est moins embarqués dans le suspense et dans l’action du match. Et puis, ça rend plus difficile l’identification aux joueuses et la création d’un récit autour du foot féminin.

« direct » : Ce manque de moyens et d’infrastructures se répercute aussi concrètement sur la santé des joueuses ?

Oui, les expert-es disent que les footballeuses se blessent six fois plus que les footballeurs, ce qui est énorme. Et c’est justement parce qu’elles jouent souvent sur des terrains synthétiques, qui favorisent les blessures. En France, la Ligue de football professionnelle a interdit d’utiliser des terrains synthétiques à cause de cela.

Et, comme je l’ai dit avant, elles ont moins de temps pour se reposer. Leur staff d’encadrement est aussi moins important que chez les hommes. Il y a moins de masseur-euses et moins de soigneur-euses qui peuvent les aider à récupérer. En plus, les équipementier-ères connaissent mal les corps féminins. Tous leurs produits sont conçu pour des hommes. Les chaussures, par exemple, ne sont pas tout à fait adaptées. À un niveau où le moindre détail fait la différence, ça peut favoriser les blessures.


« Les footballeuses se blessent six fois plus que les footballeurs »


« direct » : Donc le football ignore globalement les différences entre footballeuses et footballeurs ?

Oui. On ne tient notamment pas encore assez compte du cycle menstruel en Suisse. Sauf au niveau national : l’équipe suisse a un planning pour chacune des joueuses qui est créé en fonction de leur cycle menstruel. Mais bien sûr, dans les plus petites équipes, ce n’est pas autant personnalisé et ça ne va pas autant dans le détail. Cela peut aussi favoriser les blessures. Et enfin, il faut aussi savoir que les filles commencent souvent plus tard à jouer au foot que les garçons. Jusque dans les années 80, l’UEFA déconseillait aux fédérations d’autoriser la pratique du foot aux femmes de moins de 13 ans. Pour les garçons, c’était 7 ans. Cet écart entraîne un retard de musculature qui augmente le risque de blessures, parce que le corps est moins préparé à ces efforts.


« Jusque dans les années 80, l’UEFA déconseillait aux fédérations d’autoriser la pratique du foot aux femmes de moins de 13 ans. Pour les garçons, c’était 7 ans »


« direct » : Est-ce féministe de jouer au foot en tant que femme ?

Le foot féminin a toujours été lié aux luttes féministes. Au début du 20ème siècle, beaucoup de joueuses étaient aussi des suffragettes qui se battaient pour le droit de vote des femmes en Angleterre. À l’heure actuelle, rien que prendre de l’espace dans un univers masculin, ça dérange. Il y a un exemple récent de ça.


« Au début du 20ème siècle, beaucoup de joueuses étaient aussi des suffragettes »


« direct » : Le match de l’équipe suisse contre les jeunes Lucernois?

Oui, les adolescents qui auraient battu 7 à 1 l’équipe suisse. Le cadrage médiatique était catastrophique : le fait de présenter cet entraînement comme un match qui aurait été caché parce que c’était la honte de perdre, c’est vraiment de mauvaise foi. Ça a été joué en trois fois 30 minutes, il y a eu 15 changements du côté des joueuses suisses et pas d’arbitrage. Une gardienne suisse jouait dans le but de Lucerne. Le Figaro, un journal français qui ne couvre même pas l’Euro 2025, a repris le résultat de l’entraînement comme news sportive. On voit qu’il y a vraiment une volonté de remettre à leur place les femmes qui sortent de leurs rôles de genre. En tant que féministe, on doit dénoncer ces mécanismes, que ce soit dans le milieu du travail, dans le sport ou dans la politique, car tout est lié. Une étude a d’ailleurs montré que, dans les pays où les femmes ont davantage accès au football, elles ont aussi plus d’accès à des postes à responsabilité politique plus importante.


« Dans les pays où les femmes ont davantage accès au football, elles ont aussi plus d’accès à des postes à responsabilité politique plus importante »


« direct » : Cet Euro attire des fans de partout, les matchs sont presque toujours joués à guichet fermé. L’intérêt pour le foot féminin est-il nouveau ?

Non, pas du tout. Le premier match de foot féminin international a eu lieu en 1881 entre l’Écosse et l’Angleterre, avec entre 400 et 1000 spectateur-ices. En 1920, il y avait 53 000 spectateur-ices qui se réunissaient pour voir des matchs de foot féminin. 53 000, c’est plus que le Saint-Jacques Stadium à Bâle, le plus gros stade de Suisse.


« Déjà en 1920, il y avait 53 000 spectateur-ices qui se réunissaient pour voir des matchs de foot féminin »


« direct » : Comment peut-on expliquer cet intérêt au 20ème siècle ?

Il y a eu un essor du foot féminin pendant la Première Guerre mondiale, en particulier en Angleterre. Les hommes sont partis à la guerre et les femmes ont été mobilisées dans les usines d’armement. Beaucoup se retrouvaient après le travail pour faire du sport, en particulier du football. Résultat : il existait 150 équipes féminines anglaises pendant la Première Guerre mondiale. À la fin de la guerre, les discours natalistes ont pris le dessus, il fallait « repeupler l’Europe ». Les femmes ont été licenciées des usines d’armement et renvoyées dans leurs cuisines pour s’occuper du foyer et élever des enfants. À cause de ces politiques, la Ligue de football anglaise a interdit en 1921 les clubs de laisser les femmes accéder aux stades, à leurs installations, ou de leur fournir une aide, que ce soit logistique ou autre. C’est seulement 50 ans plus tard, dans les années septante, que les femmes ont été à nouveau autorisées à utiliser les installations des clubs de foot.

« direct » : Qui est ta joueuse préférée?

Beaucoup de joueuses sont très inspirantes. Notamment parce qu’il y a beaucoup de joueuses encore actuellement actives qui ont vraiment dû créer leur place dans un milieu où il n’y avait jamais eu de femmes avant. Moi, j’apprécie particulièrement Ramona Bachmann, une joueuse suisse qui, malheureusement, est blessée pour l’Euro. C’est vraiment une des meilleures joueuses suisses de l’histoire, ayant joué à Chelsea et au PSG. C’est une attaquante très technique qui met toujours des buts incroyables. Et en tant que lesbienne, c’était vraiment un modèle positif pour moi. Elle a fait son coming-out super jeune, elle s’est mariée, et elle est devenue mère en mai dernier. Je trouve ça assez inspirant — on voit très peu de femmes lesbiennes mères parmi les personnes un peu médiatiques en Suisse. Par ailleurs, elle a dû être hospitalisée pour des crises d’angoisse et un trouble panique en novembre dernier. Elle en a témoigné à la télévision suisse allemande. Je trouve ça très courageux et important de parler de santé mentale, surtout quand on sait qu’en Suisse, les troubles psychiques touchent un grand nombre de jeunes entre 15 et 29 ans.


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