Tradwives : victimes de l’extrême droite ?

Elles font des millions de vues en pétrissant du pain, en repassant des chemises et en prônant la soumission joyeuse à leur mari. Les « tradwives », ces femmes qui idéalisent la vie domestique sur les réseaux sociaux, séduisent par leurs vidéos pastel et leurs discours rassurants. Mais derrière cette esthétique rétro se cachent des messages antiféministes et une vision du monde profondément conservatrice.

Photo : Unsplash/Keystone, Montage : Direct

Face à des millions de personnes, elles préparent du pain, s’occupent des enfants et décorent avec amour le salon — tout cela pour leur mari. Les « Tradwives », ou « femmes traditionnelles », revendiquent une image de femmes au foyer heureuses, entièrement dévouées à leur foyer plutôt qu’à une carrière professionnelle, bien que cette mise en scène occulte le travail réel qu’elles accomplissent, tant domestique et esthétique que rémunéré via les réseaux sociaux. Dans un monde où règnent la pression de la performance et l’insécurité, ce modèle de vie a un effet apaisant pour beaucoup : il est clair, ordonné, harmonieux. Mais ce monde idyllique présente des failles et met en avant une vision politique.

Une idéologie d’extrême droite

Le terme « tradwife » trouve ses racines dans la scène d’extrême droite américaine. Ce qui semble à première vue relever d’un charme rétro apolitique sur TikTok ou Instagram se révèle être un cheval de Troie lorsqu’on y regarde de plus près : des idéologies conservatrices et d’extrême droite habilement dissimulées derrière des images esthétiques. C’est le retour d’une image romantisée et commerciale des femmes qui semblait révolue depuis longtemps.

Toutes les tradwives ne se considèrent pas comme politiques. Certaines, comme l’influenceuse Tatiana, se qualifient même de féministes parce qu’elle a choisi de devenir femme au foyer. Mais c’est précisément là que réside le danger : la frontière entre décision personnelle et déclaration politique devient floue. La chercheuse Judith Götz met en garde : « Les tradwives diffusent l’idéologie de la droite auprès du grand public sans être perçues comme des actrices politiques. »

Cette tendance ne se limite pas au monde numérique. Les femmes continuent d’assumer la majeure partie du travail domestique non rémunéré. En Suisse, par exemple, il n’existe toujours pas de congé familial à la naissance d’un enfant. La mère reste à la maison, tandis que le père n’a droit qu’à deux semaines de congé. L’absence d’égalité désavantage structurellement les femmes. Leur retour à la vie active est rendu difficile, ce qui a des répercussions négatives sur l’égalité salariale et les retraites. Dans le même temps, une conception dépassée des rôles continue d’être reproduite et renforcée. La situation est similaire en Autriche, où des partis de droite tels que le FPÖ réclament une « prime au foyer » pour les parents qui gardent leurs enfants à la maison. En Allemagne, l’AfD mise également sur l’idéal de la famille traditionnelle. La « tradwife » en est l’image parfaite, mise en scène de manière authentique pour les réseaux sociaux.

Des rôles de genre figés

Parallèlement, les positions antiféministes alimentent un retour à des rôles de genre rigides. Des études montrent qu’une partie considérable de la génération Y ne considère pas un homme qui s’occupe de ses enfants comme un « vrai homme ». De telles attitudes constituent un terreau fertile pour un antiféminisme moderne qui s’oppose ouvertement à l’égalité, avec la tradwife comme figure publicitaire sympathique. Selon le Centre fédéral allemand pour l’éducation politique, l’antiféminisme est un élément central des idéologies d’extrême droite. Il présente les femmes comme attentionnées et apolitiques, les hommes comme des pourvoyeurs dominants. Et c’est précisément cette image que véhiculent les tradwives, de manière subtile mais efficace.

Le réseau féminin allemand « Lukreta » en est un exemple particulièrement frappant. Officiellement, elles défendent les droits des femmes, mais sur Instagram, elles célèbrent le « mois de la fierté » avec des femmes vêtues du drapeau allemand — une campagne d’extrême droite contre le mois de la fierté queer. C’est la combinaison d’un monde idéal et d’une symbolique d’extrême droite, le tout présenté de manière professionnelle à un public jeune. La proximité avec l’AfD n’est pas une coïncidence, mais une stratégie.

Un modèle économique lucratif

Dans le même temps, de nombreuses tradwives professionnalisent leur image. Hannah Neeleman, mère de huit enfants aux États-Unis, gère par exemple la « Ballerina Farm » et compte plus de dix millions d’abonnés grâce à ses publications. Ce qui ressemble à des moments privés en famille est souvent un contenu soigneusement chorégraphié et lié à une boutique en ligne. Cette vie en apparence simple devient une marque, avec un chiffre d’affaires, une équipe de tournage et une analyse des groupes cibles.

Une dépendance romantisée

Le revers de la médaille est généralement occulté : celles qui dépendent financièrement et émotionnellement de leur mari ont peu de marge de manœuvre en cas de coup dur, par exemple en cas de séparation ou de violence dans le couple. L’image romantique du travail domestique et des tâches ménagères non rémunérées cache également les inégalités structurelles. Le mouvement Tradwife rend attrayant un modèle de vie qui, autrefois, ne laissait aucun choix à de nombreuses femmes, mais qui est aujourd’hui célébré comme une « réalisation de soi » librement choisie.

Ce qui commence par une tarte aux pommes qui sent bon peut conduire à un recul en matière d’égalité. Car lorsque des millions de personnes likent la mise en avant de rôles traditionnels, la nostalgie se transforme rapidement en idéologie. Et la femme au foyer parfaite devient soudain plus qu’un style de vie : elle devient une figure politique.

Cet article a partiellement été repris de Kontrast.

 

 


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